Entretien avec … Jacques Veilleux, directeur du NDI à Nouakchott : «Dans tous les pays, y compris le mien au Canada, la démocratie est continuellement évolution. La Mauritanie n’y échappe pas.»
M. Jacques Veilleux, directeur de l’Institut National Démocratique (NDI) en Mauritanie quitte notre pays après y avoir effectué deux mandats, un premier en 2006 et deuxième à partir de 2008, avec deux suspensions d’activités (une première de quelques mois en 2008 et une deuxième plus longue, de six mois, en 2010). Pourtant cela n’a pas empêché l’homme d’accompagner le processus démocratique mauritanien, y apportant sa pierre de contribution en appuyant le plaidoyer engagé sous la première transition en faveur des femmes pour une meilleure présence de celles-ci en politique. De même qu’il a soutenu les partis politiques dans leurs démarches pour percer dans le premier scrutin démocratique de la Mauritanie, formant plus de 4000 représentants de candidats dans les bureaux de vote.
Nouakchott Info a rencontré Jacques Veilleux en marge d’un atelier consacré au leadership féminin que le NDI organise au profit de dizaines de femmes leaders (anciennes ministres, parlementaires, maires, présidentes d’ONG, etc.) pour permettre aux autres femmes de surmonter certains préjugés et autres difficultés.
Nouakchott Info: Vous êtes au terme de votre mission en Mauritanie. Quel bilan faîtes-vous des deux mandats que vous avez assurés depuis ?
Jacques Veilleux: En effet, je suis arrivé dans votre pays la première fois en début de 2006. Je suis venu pour mettre en marche principalement deux projets: appui aux femmes pour une présence en politique et appui aux partis politiques pour les élections municipales, législatives et présidentielles de 2006/2007.
Concernant notre appui aux femmes, nous avons travaillé avec un groupe d’environ 20 femmes. Elles se réunissaient presque chaque jour, même les fins de semaines pour construire un plaidoyer afin de sensibiliser les partis politiques et les autorités à réserver des places sur les listes de candidatures aux femmes avec comme objectif 20%. Leur travail n’a pas été vain parce que le Président Ely Mohamed Vall a fait avaliser une ordonnance à cet effet. Je considère que le résultat fut formidable. Pour une première élection, à l’Assemblée Nationale, 19,6% des élus furent des femmes. Au niveau municipal, plus de 34% des conseillers élus ont été des femmes. Le résultat fut cependant moindre au niveau du Sénat. Ces résultats placent les femmes mauritaniennes au deuxième rang au niveau des pays des pays arabes. Je dois mentionner que cette action des femmes a reçu l’appui, non seulement de NDI, mais également celui de GTZ et de la coopération espagnole. Nous avions même entrepris ensemble une campagne de sensibilisation.
En fin de compte, les femmes mauritaniennes ont pris en main leurs responsabilités. Le résultat est que plusieurs des femmes élues depuis sont devenues des leaders; plusieurs d’entre elles font des interventions au Parlement qui rendent parfois nerveux celles ou ceux qui doivent les affronter. Elles jouent leur rôle de députés à un point tel, que leurs collègues les envient. C’est un bilan positif.
Notre appui aux partis politiques, consistait, entre autre, à les appuyer dans leurs démarches pour percer dans le premier scrutin démocratique de la Mauritanie. Nous avons beaucoup insister sur la nécessité d’avoir une bonne structure électorale, de présenter un programme (surtout aux élections présidentielles) et d’avoir de bons représentants des candidats dans les bureaux de vote.
La réponse des partis politiques à cette offre a requis de la part de NDI des ressources humaines beaucoup plus importantes que prévues. Nous avons répondu à ce désir des acteurs politiques qui voulaient un scrutin transparent.
Les bailleurs de fonds internationaux, le Ministère de l’Intérieur, la CENI, le Président Ely Mohamed Vall et tous les partis politiques nous ont donné un appui sans équivoque. Concrètement, NDI a formé plus de 4000 représentants de candidats dans les bureaux de vote (même des membres de la CENI, des Walis et des Hakems se sont joints aux représentants des candidats pour la formation). Les acteurs du processus électoral ont appris à mieux comprendre le rôle de chacun. Le résultat a dépassé mes espérances car le candidat malheureux aux élections présidentielles a même reconnu publiquement la victoire de son adversaire. C’est tout à l’honneur de ce candidat parce qu’il a été le premier en Afrique à reconnaître sa défaite et à féliciter le gagnant. Il traçait le chemin pour l’avenir.
Débat télédiffusé et radiodiffusé. Aux élections législatives, NDI avait expérimenté trois débats (Nouadhibou, Kaédi et Kiffa) entre les candidats pour le poste de députés. Le résultat fut positif : candidats et populations locales ont appréciés cette approche. Fort de cette expérience, avec l’appui des bailleurs de fonds internationaux, j’ai approché tous les candidats au premier tour des élections présidentielles pour qu’ils acceptent de participer à un débat public au deuxième tour s’ils étaient sur la liste. Tous ont accepté. NDI a mis à la disposition des organisations des deux candidats et des médias publics des experts techniques pour organiser ce débat. Nous, la HAPA et NDI, avons agi comme médiateurs entre les organisations. NDI a proposé le scénario du déroulement du débat afin d’assurer un temps identique d’antenne aux débateurs. Les médias publics ont fourni une disponibilité de tout moment. Le succès fut retentissant, même les populations les plus éloignées de la capitale ont pu suivre ce moment unique dans le processus électoral. Pour la première fois en Afrique et dans le monde arabe, un débat entre les finalistes à une élection présidentielle se tenait. Encore une fois, la Mauritanie traçait la route aux autres pays. Pour moi, ce fut sans conteste la plus grande réussite de NDI en 2007.
Après l’élection de 2007, NDI a offert son appui à l’Assemblée Nationale. Ce fut le début d’une collaboration fructueuse malgré une première suspension de nos activités (quelques mois) en 2008 et une deuxième (six mois) en 2010. Avec l’appui des autorités de l’Assemblée Nationale et des députés de tous les partis politiques, NDI a mis sur pieds le service de traduction des débats parlementaires, a pris en charge pour chacun des sept groupes parlementaires un assistant parlementaire, a entrepris avec l’appui d’experts mauritaniens la réforme des règles de procédure parlementaire et des règlements administratif et financier et avons appuyé techniquement deux commissions parlementaires (commission des affaires économiques et la commission spéciale sur la sécurité sociale) pour l’organisation de deux consultations publiques avec des représentants de la société civile. Ces consultations publiques constituent une premières dans les annales parlementaires de la Mauritanie. Bilan plus que positif avec l’Assemblée Nationale.
N.I. : Le NDI aura fourni bien des formations (voyage-école aux leaders des partis politiques, renforcement de la capacité de leadership des acteurs de la société civile, etc.)Pensez-vous que la démocratie a fait des progrès dans notre pays?
J.V. : En 2006 et 2007, la démocratie s’est installée en Mauritanie et pour durer. Je crois sincèrement que personne ne veut retourner en arrière. Un premier pas a été fait à ce moment-là. Dans tous les pays, y compris le mien au Canada, la démocratie est continuellement évolution. La Mauritanie n’y échappe pas. Je crois que le Dialogue national est une deuxième étape, une étape cruciale dans votre vie démocratique. J’ai appris ce matin que des changements majeurs au processus électoral seraient en voie d’être agréés, changements qui iraient vers une indépendance des responsables du processus électoral. Si tel est le cas, la Mauritanie aura fait des pas géants dans l’implantation de la démocratie et deviendra un leader en Afrique et dans le monde arabe.
N.I. : Quota des femmes, leadership féminin, le NDI est très actif dans le plaidoyer des femmes. Est-ce le dernier coup de pouce à la gente féminine avant votre départ?
J.V. : A la demande des femmes de 2007, nous avons repris le flambeau auprès de la gente féminine. Le groupe s’est agrandi (plus de cinquante femmes en 2011). Le groupe a pris l’entière responsabilité de leur action. NDI ne fait que les appuyer dans leurs démarches et cette fois-ci en étroite collaboration avec nos partenaires GIZ, Coopération espagnole et ONU-Femmes.
Ce n’est pas mon dernier coup de pouce, c’est mon dernier clin d’œil. Elles vont encore réussir.
N.I. : Un dernier mot?
J.V. : En terminant, je voudrais remercier toutes celles et ceux qui m’ont accordé leur appui au cours des quatre années que j’ai passées en Mauritanie. J’ai connu des gens extraordinaires. Les mauritaniens m’ont beaucoup appris. Je quitte la Mauritanie plus riche que lorsque je suis arrivé.
Vous, mauritaniennes et mauritaniens, vous avez deux grandes qualités : votre hospitalité légendaire et votre sens du consensus. C’est ce que je garde comme souvenir sans oublier votre magnifique et fascinant pays que j’ai eu l’occasion de visiter. Je vous remercie tous.
Propos recueillis par Mohamed Khattatt
تاريخ الإضافة: 24-10-2011 09:24:13 |
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