Par Mohamed Bouya O.Nahy, Ex- Juge d’instruction, chargé du terrorisme au tribunal de Nouakchott.
Conséquence de la mondialisation, le crime organisé constitue un défi majeur non seulement pour les Etats considérés individuellement, mais pour l’ensemble de la communauté internationale. L’augmentation des crimes ayant un élément transnational, comme le trafic de drogue, la corruption, le blanchiment d’argent et la montée du terrorisme appellent les Etats à développer sans cesse les mécanismes de coopération pénale pour prévenir et réprimer le crime organisé.
Les instruments normatifs qui fondent la coopération pénale internationale sont l’entraide judiciaire et l’extradition. Les bases juridiques de cette coopération peuvent être des instruments internationaux [ convention des Nations-Unies sur la criminalité organisée de 2000, instruments universels contre le terrorisme ], des conventions régionales de coopération judiciaire[ convention de Tananarive de 1961 ], ou encore des conventions bilatérales. Certains Etats admettent aussi la courtoisie internationale et la réciprocité, comme fondement de la coopération judiciaire. Les modalités de mise en œuvre des mécanismes de coopération pénale sont déterminées par les législations nationales.
Pour répondre à son devoir de lutte contre la criminalité transnationale, la Mauritanie a fait le choix d’une coopération pénale accrue, à travers la ratification de nombreuses conventions internationales et l’harmonisation de sa législation nationale avec les normes admises en la matière.
Pour expliciter ces propos, nous aborderons le sujet en deux points ,
I/ les règles traditionnelles de coopération pénale
II/ L’expérience mauritanienne en matière de coopération pénale
I/ Les règles traditionnelles de coopération pénale :
La mobilité de la délinquance contemporaine conduit les Etats à établir des rapports de coopération en matière de justice pénale. Les approches de coopération passent par des accords en forme de convention bilatérale, de traités multilatéraux ou internationaux. Un traité en matière de coopération pénale se traduit en général par des règles décrivant d’un côté les modalités d’exécution de l’entraide judiciaire et de l’autre cote des procédures d’extradition de citoyens recherches par la justice.
A/ L’entraide judiciaire
L’entraide judiciaire est une procédure par laquelle un Etat demande ou fournit à un autre Etat l’aide pour recueillir des preuves dans le cadre d’une affaire pénale.
Depuis longtemps, il existe des mécanismes permettant aux diverses polices nationales d’échanger des informations sur des enquêtes pénales. Il s’agit parfois de contacts entre appareils de police , parfois d’officiers de liaison détaches auprès d’Etats étrangers, parfois des contacts instaurés sou l’égide d’Interpol. Ces divers moyens conservent toute leur importance et n’ont aucunement été remplacés par les mécanismes plus formels de l’entraide judiciaire.
C’est en fait, cependant qu’il existe certains concours qui, entre Etats, ne peuvent être assurés par l’intermédiaire des forces de police. Ainsi, lorsqu’un Etat cherche à obtenir des relèves bancaires ou la perquisition d’une résidence, il faut recourir aux mécanismes judiciaires de l’entraide.
L’entraide est un instrument incontournable dans le contexte de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme. Dans le champ de coopération internationale, l’entraide judiciaire est certainement celui qui a le plus évolué ces dernières années.
L’outil de coopération qu’est l’entraide consiste entre autres, en.,
-la transmission d’actes judiciaires,
-la transmission et l’exécution des commissions rogatoires,
-La comparution de témoins ou d’experts,
-La fourniture des informations, les pièces a conviction et les estimations d’experts,
-La fourniture des originaux ou des copies certifiées conformes et dossiers pertinents, y compris des documents administratifs, bancaires , financiers ou commerciaux et des documents des sociétés,
-L’identification ou localisation des produits du crime, des biens ou d’autres éléments a des fins probatoires etc.…
La requête d’entraide doit désigner le nom et la fonction de l’autorité chargée de l’enquête ou de la procédure, l’objet et la nature de l’enquête ou des poursuites et le fondement juridique de la demande.
B/ l’extradition
L’extradition est une procédure par laquelle un Etat qui éprouve le besoin de faire venir sur son territoire et mettre à la dispositionde sa justice une personne établie temporairement ou non sur le territoired’un autre Etat. L’Etat qui sollicite la mesure d’extradition est l’Étatrequérant et l’Etat dont le concours demandé est l’Etat requis. Lademande d’extradition est en principe consécutive à un mandat d’arrêt lancécontre une personne suspecte, condamnée par défaut ou contumace, ouinculpé de faits punissables et ne se trouvant pas à la portée immédiate des autorités de l’Etat requérant.
L’extradition ainsi définie est soumise à un certain nombre de condition généralement prévues dans les conventions internationales et dans les législations nationales, telles que,
- l’existence de l’incrimination dans l’Etat au sein duquel se trouve la personne concernée [ règle de double incrimination],
- obligation d’extrader ou de poursuivre les nationaux[ auto dedere auto judicare],
- l’impossibilité pour l’Etat requérant de condamner la personne pour d’autres incriminations que celles pour lesquelles est demandée sa remise [ règle de spécialité],
- interdiction de juger une personne deux fois pour les mêmes faits [ non bis idem],
-clause de non discrimination ; à ne pas confondre avec l’infraction politique pour laquelle l’extradition ne peut être refusée
-interdiction de refuser une demande d’extradition au seul motif que l’infraction est considérée comme touchant a des questions fiscales,
-garantie de procès équitable [respect de la présomption d’innocence, respect des droits de défense, droit de faire appel ].
En Mauritanie, l’extradition est prévue par :
‐ Les articles 711 à 744 du code de procédure pénale ;
‐ Les traités internationaux ;
‐ Les conventions de coopération judiciaire bilatérale ;
D’autres conventions traitant spécifiquement d’infractions transnationales organisées et du terrorisme. Les instruments juridiques traitant de l’extradition sont pratiquement les mêmes dans tous les pays, qu’ils soient liés par des accords bilatéraux ou multilatéraux.
II) l’expérience mauritanienne en matière de coopération pénale
Pays charnière entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne, la Mauritanie a opte pour une politique répressive pénale en vue de contribuer a une lutte efficace contre la criminalité organisée et le terrorisme.
La Mauritanie accepte comme base juridique pour les requêtes de coopération pénale les traités bilatéraux et multilatéraux ratifiés par l’Etat, les principes de réciprocité ou de courtoisie. A cet égard, il y’a lieu de faire remarquer que le système juridique est de type moniste. En effet, l’article 80 de la constitution dispose que les traités ratifiés ont une valeur supérieure aux lois nationales.
Le système juridique mauritanien intègre les mécanismes de l’entraide et de l’extradition comme modes de coopération pénale.
A/ Au plan de l’entraide judiciaire
La Mauritanie a conclu des conventions de coopération judiciaire liées à l’entraide judiciaire. Parmi ces conventions, nous pouvons citer l’accord de coopération en matière de justice, signé entre la France et la Mauritanie le 19/06/ 1961, la convention d’entraide avec l’Algérie du 3 décembre 1969 , la convention de Ryad pour l’entraide judiciaire de 1983,l’accord de coopération judiciaire avec le Maroc, la convention signée avec l’Espagne en 2005 etc..
Par ailleurs, la loi no 2005/048 relative au blanchiment d’argent et financement du terrorisme met en place un dispositif permettant à la Mauritanie de proposer l’éventail le plus large des mesures d’entraide judiciaire pour les enquêtes, les poursuites et les procédures connexes.
Ce dispositif est applicable en dehors des cas ou la Mauritanie est partie à une convention bilatérale avec le pays requérant. Ainsi, en vertu de l’article 65, les autorités mauritaniennes s’engagent à coopérer avec celles des autres Etats aux fins d’échanges des informations, d’investigations et de procédures visant les mesures conservatoires et de confiscation des biens et produits liés au blanchiment d’argent et de financement de terrorisme.
S’agissant des conditions de l’entraide, la loi exige l’existence d’une convention, la consécration du principe de la réciprocité dans la législation de l’Etat requérant ou la courtoisie.
L’entraide peut être refusée si son exécution remet en cause l’ordre public , la souveraineté ou les principes généraux du droit , si les faits ont fait l’objet de poursuite pénale ou de jugement définitif sur le territoire national si les faits sont prescrits ou si la décision qui fonde la demande ne respecte pas les droits de la défense ou, enfin s’il existe des indices qui portent à croire que les mesures demandées ou la décision sollicitée ne visent la personne concernée qu’en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son origine ethnique, de ses opinions, de son sexe ou de son statut .
Dans le cadre des conventions de coopération judiciaire, la justice Mauritanienne a exécuté plusieurs demandes d’entraide judiciaires se rapportant à des affaires de terrorisme, émanant de l’Algérie, de la France ,de l’Allemagne, des Etats-Unis. En matière de terrorisme. On citera comme exemple, la demande adressée par les autorités judiciaires françaises tendant à l’audition du détenu Mohamed Lemine ould M’balle sur les circonstances de l’enlèvement suivi de mort des otages français Antoine Lamour Bechet De Lacour et Vincent Delorey, le 8 janvier 20011.
B/ Au plan de l’extradition
L’extradition est un outil coopération incontournable, compte tenu de la dimension nouvelle et complexe du terrorisme au vu de ses liens avec le crime organisé. D’où la tendance des Etats à recourir à l’extradition, comme moyen de lutte contre le terrorisme et la criminalité. A cet égard, la Mauritanie a ratifié des accords de coopération lies aux extraditions avec plusieurs Etats.
Parmi ces accords, nous pouvons citer :, la convention d’extradition de 1994 de la CEDEAO, la convention arabe de coopération judiciaire de 1998.
Pour se conformer à ses engagements, l’Etat a adopté la loi no 2010/036 du 21 juillet 2010, modifiant et complétant certaines dispositions du Code de Procédure Pénale. Cette loi fixe les conditions, la procédure et les effets de l’extradition.
Les demandes d’extradition s’apprécient sur la base de l’article 719 du CPP. Selon cet article toute demande d’extradition doit être adressée au Gouvernement mauritanien par voie diplomatique et accompagnée, sauf disposition résultant d’un traité ou d’une convention, d’un jugement ou d’un arrêt de condamnation, même par défaut ou par contumace, soit d’un acte de procédure criminelle ordonnant le renvoi de l’inculpé ou de l’accusé devant la juridiction pénale, soit d’un mandat d’arrêt, pourvu que ses actes contiennent l’indication précise du fait pour lequel ils sont délivrés et la date de ce fait.
L’extradition n’est pas accordée, lorsque l’individu est de nationalité mauritanienne ou lorsque le crime ou délit a un caractère politique ou lorsque, d’après les lois de l’Etat requérant ou celles de l’Etat requis, la prescription de l’action s’est trouvée acquise antérieurement à la demande ou la prescription de la peine antérieurement à l’arrestation de l’individu réclamé, ou enfin, si une amnistie est intervenue dans l’Etat requérant ou dans l’Etat requis, à condition que dans ce dernier cas soit au nombre de celles qui peuvent être poursuivies dans cet Etat.
La demande est adressée aux autorités compétentes par voie diplomatique et accompagnée soit d’un jugement ou d’un arrêt de condamnation.. Dans les 24 h. de l’arrestation, le Procureur de la république procède à l’interrogatoire d’identité et notifie à l’étranger le titre en vertu duquel l’arrestation a eu lieu et en dresse un procès-verbal. Le dossier est en même temps transmis au Procureur près la cour suprême qui procède dans un délai de 24 h. à l’interrogatoire de l’intéressé. La cour suprême (chambre pénale) est saisie des p.-v. susvisés et de tous autres documents.
L’étranger, assisté de son avocat, comparait devant la cour suprême dans un délai de 8 jours à compter de la notification des pièces. Si l’intéressé consent à être livré au pays requérant, il est donné acte par la cour de cette déclaration. Dans le contraire, la chambre pénale de la C. sup. donne un avis motivé sur la demande d’extradition. Si la cour rejette cette demande, cet avis est définitif et l’extradition ne peut être accordée. Dans le cas contraire, le Ministre de la Justice propose à la signature du Président de la République un décret autorisant l’extradition de l’intéressé.
Sur le plan pratique, la Mauritanie a procédé à plusieurs extraditions d’individus poursuivis dans des affaires liées au terrorisme. A titre d’exemples, l’extradition, le cas du détenu malien Oumar Sahraoui, poursuivi en Mauritanie pour blanchiment d’argent et enlèvement d’étrangers, extradé vers le Mali en 2011. Parallèlement, la Mauritanie a obtenu du Sénégal, l’extradition du Français Eric Walter poursuivi pour appartenance à un vaste réseau de trafic de drogue.
Conclusion : en dépit des progrès réalisés par la communauté des Etats dans la prévention et la répression du crime organise et du terrorisme, force est cependant de constater que la coopération pénale souffre d’un certain nombre d’obstacles, parmi lesquels la lourdeur des procédures et leur caractère trop technique, la lenteur des procédures d’exécution et de transmission des requêtes de coopération, les considérations de souveraineté etc
Il est donc nécessaire de revoir les mécanismes traditionnels de coopération pénale pour accompagner l’évolution de la criminalité organisée et du terrorisme. Les Etats, quand à eux, sont invités à intensifier leurs efforts en vue d’une coopération efficace contre ce phénomène .