Le Calame - Diplômé en relations internationales, en finances et en administrations publique de grandes écoles américaines et françaises dont l'ENA de Paris, ancien haut fonctionnaire du Ministère de l'Economie et des Finances, candidat malheureux aux élections législatives 2018 Mohyedine Sidi-Baba,répond, dans une interview exclusive, à nos questions sur les sujets d'actualité du pays.
Le Calame : Votre parti, le RDU pris part aux dernières élections municipales, régionales et législatives ; comme beaucoup de partis, ses résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes. Quelque quatre mois après ces scrutins, quels enseignements avez-vous tirés de cette contre performance de votre parti mais aussi de votre première expérience électorale ?
Mohyedine Sidi Baba : L’évaluation des résultats de notre parti devrait, à mon avis, prendre en compte non seulement le nombre de suffrages obtenus mais aussi les circonstances des élections et les moyens dont dispose le parti pour mener campagne. Ainsi donc je pense que notre parti a participé aux élections malgré des circonstances très défavorables et des moyens très insuffisants.
Pour ce qui est de ma candidature, comme vous l’avez dit, c’était ma première expérience électorale et je l’ai trouvée extrêmement enrichissante et m’a permis de tirer des leçons et enseignements qui me seront très utiles par la suite.
Toutefois, je considère que, globalement, la composition actuelle du Parlement représente une amélioration certaine, bien qu’insuffisante, par rapport aux législatures précédentes aussi bien pour ce qui est de la présence de l’ensemble du spectre politique que pour la qualité de certains nouveaux entrants. J’espère que cela se traduira donc par un travail législatif plus rigoureux, une élévation du niveau du débat public et un meilleur encadrement de l’action gouvernementale et des politiques publiques.
Ce résultat pourrait vous exposer à la rigueur de la loi qui stipule que tout parti n’ayant pas obtenu 1% des chiffrages, suite à 2 élections consécutives doit être dissous. Quelle est votre réaction à cette situation ?
Il est certain que dans des élections où participe une centaine de partis, il est arithmétiquement impossible que tous dépassent le seuil de 1%, surtout s’il y’a un parti qui récolte à lui tout seul plus de la moitié des suffrages. Toutefois, un des principes généraux du droit est la non-rétroactivité de la loi. Il faudra donc attendre de voir les résultats des prochaines élections municipales, a priori en 2023, pour voir si la question se pose pour notre parti ou pas.
Ceci étant dit, cette loi est, à mon avis, très utile, dans le sens où, elle devrait, à terme, conduire à une réorganisation de la scène politique en poussant vers le regroupement des partis politiques au lieu de la dispersion extrême à laquelle nous assistons aujourd’hui.
-Dans six mois, les mauritaniens seront appelés à élire leur président de la République. Comment appréhendez-vous cette échéance qui doit marquer l’alternance parce que l’actuel président achevant son 2e et dernier mandat, ne peut plus se présenter à cette élection ? Quel est selon vous, le profil du bon candidat à la présidentielle ? Quels critères privilégiez-vous dans votre choix ?
-La prochaine élection, pour moi, a une signification toute particulière car elle pourrait marquer le début de notre transition vers un Etat de Droit, ce serait la première fois qu’un Chef d’Etat mauritanien quitte le pouvoir par la force de la loi. Maintenant, ce passage vers l’Etat de Droit ne sera réel que si l’on élisait à la tête de l’Etat quelqu’un qui soit porteur d’un projet pertinent pour notre pays et qui ait le caractère et les qualités personnelles permettant de mener ce projet à bout. Je pense que l’on aurait tort de se focaliser sur d’autres critères tels que l’appartenance ethnique ou régionale, pas plus que le positionnement politique passé ou le domaine d’activité professionnelle passée.
Pour être parfaitement clair, et là je n’exprime que mon opinion personnelle, que mon candidat soit issu de la Majorité actuelle ou de l’Opposition n’a pas plus d’importance pour moi que de savoir s’il était avec ou contre Moctar Daddah, Haidalla ou Taya, du moment que ce n’est pas quelqu’un qui traine des casseroles. Qu’il ait été par le passé médecin, enseignant, militaire, avocat, fonctionnaire ou homme d’affaires ne change rien non plus à l’équation du moment que ce candidat aura exercé un métier honorable et que son parcours ne soit pas entaché par des manquements graves.
Je pense en toute candeur que notre pays a accusé tellement de retard dans son développement et que notre classe politique a raté tant d’opportunités qu’il serait dangereux aujourd’hui de continuer dans le même sens. Il est grand temps de revenir aux fondamentaux et de mettre l’intérêt général du pays au-dessus de toutes les autres considérations.
-Pour cette présidentielle, l’opposition démocratique rassemblée au sein du G8 ou du FNDU n’exclut pas une candidature unique. D’abord, pensez-vous qu’elle y parviendra ? Ensuite quelle chance aura son candidat face à celui du pouvoir qui bénéficiera, sans aucun doute du soutien du président sortant ?
-En l’absence de sondages d’opinions ou de données fiables pour mener une telle réflexion, l’efficacité de la candidature unique ou de la multiplication des candidatures demeure du domaine de l’opinion subjective et non pas de l’analyse objective. Je pense pour ma part, que plus il y’aura de consensus au sein de l’opposition et au sein de la majorité, plus il sera facile de parvenir à des consensus et des compromis entre l’opposition et la majorité et c’est la Mauritanie qui gagne.
La multiplication des antagonismes et la dispersion au sein de chacun de ces camps ne peut mener qu’à la continuation des clivages auxquels nous assistons depuis maintenant plus de trois ou quatre décades et ce sont tous les mauritaniens qui en ont souffert.
Il est grand temps d’arrêter de régler les comptes de 1978, 1984, 2005 ou 2008. Cela n’intéresse pas les mauritaniens et ce n’est pas cela qui permettra de régler les problèmes auxquels nous faisons face aujourd’hui ni de préparer un avenir meilleur pour les générations qui nous suivront.
-Les avis de l’opposition et ceux du pouvoir divergent sur la situation économique du pays. Pour le FNDU, elle est « catastrophique », les prix des denrées de première nécessité ne cessent de flamber, l’endettement explose, le chômage des jeunes ne cesse d’augmenter, la gabegie gangrène tous les secteurs de l’économie et de l’administration etc. Pour le gouvernement, elle est rose. Les infrastructures ont fleuri depuis l’arrivée d’Ould Abdel Aziz au pouvoir. La découverte d’importantes réserves de gaz offre de meilleures perspectives au pays. En tant qu’économiste et observateur attentif, pouvez-vous trancher ce débat ? Lequel a raison ?
-Ne disposant pas d’informations autres que celles qui sont dans le domaine public et ce que permet l’observation quotidienne, je ne peux personnellement pas dire que la situation soit «rose» mais je ne veux pas non plus verser dans le catastrophisme. Notre situation est-elle difficile ? Absolument. Est-elle insurmontable ? Absolument pas. Pour ce qui est des découvertes gazières, la Compagnie la plus en avance maintenant devrait, selon ce qu’elle a annoncé, prendre une « décision finale d’investissement » au cours du premier trimestre 2019 et en cas de décision positive, la production pourrait commencer fin 2021.
Entretemps, nos populations viennent de connaitre une année de grande sécheresse et la dernière saison de pluies n’a pas été exceptionnelle non plus, les signes avant-coureurs d’une récession mondiale commencent à se manifester déjà et si elle se confirmait, devrait impacter négativement nos exportations de fer et de poisson. Notre capacité d’endettement a déjà atteint ses limites.
Il serait dangereux de ne pas prendre la mesure de la difficulté de la situation et de continuer à se bercer d’illusions mais il serait tout aussi contre-productif de propager les messages de désespoir. Il y’a lieu de s’atteler sérieusement à la planification des actions immédiates à entreprendre pour faire face aux urgences et mettre en œuvre les réformes nécessaires si l’on veut bénéficier pleinement des opportunités qui pourraient se présenter dans le futur et mettre à profit le potentiel conséquent dont nous disposons et qui demeure largement sous-exploité et extrêmement mal réparti.
-Que pensez-vous du débat sur ce que d’aucuns appellent la « question nationale » (unité nationale) ? La manière dont elle est vécue aujourd’hui vous satisfait-elle ?
-Je pense que l’on devrait approcher cette question avec beaucoup de prudence mais aussi beaucoup de bonne volonté de part et d’autre. D’abord en identifiant de manière sincère, exhaustive et objective les torts qui ont eu lieu et prendre les mesures de réparation adéquates.
Mais il faut aller au-delà en traitant les racines du mal à travers les réformes fondamentales qui s’imposent dans le domaine de la Justice en particulier. Il faudra également en tenir compte dans les politiques visant le renforcement de l’Etat de Droit et le développement socio-économique pour tous les citoyens, en prenant des mesures volontaristes en faveur de certaines des populations les plus vulnérables ou les plus susceptibles à la vulnérabilité afin qu’elles se sentent pleinement protégées et qu’elles puissent bénéficier pleinement des progrès qui pourraient se réaliser.
A cet égard, il me semble fondamental de mettre l’accent sur le système éducatif en particulier et de tirer les leçons des politiques désastreuses qui ont été menées au cours des dernières décennies qu’il s’agisse de la dualité des systèmes d’éducation (arabophone et francophone) ou de la privatisation pagailleuse du système éducatif.
Propos recueillis par Dalay Lam