Depuis décembre 2017, les vols ont repris entre la France et le désert mauritanien. Après des années d’absence, des centaines de touristes reviennent dans le pays, à la découverte de ses dunes immenses et de son superbe patrimoine comme Chinguetti, autoproclamée 7ème ville sainte de l’islam. Une aubaine économique, mais aussi un test pour Nouakchott, qui cherche à se démarquer de ses voisins empêtrés dans la lutte contre le terrorisme. Reportage de Mehdi Meddeb et Stéphane Kenech.
Pour relever un tel défi, il fallait bien un homme du désert. Le retour des touristes en Mauritanie n’aurait jamais pu se faire en effet sans Kadi Mehdi. Pendant des années, le directeur de Mauritanides Voyages, point focal de l’opérateur touristique historique Point Afrique, en Mauritanie et au Sahel, a bataillé pour permettre la renaissance d’un tourisme organisé dans l’Est du pays. Quand plus personne ne l’envisageait, lui y croyait dur comme fer.
"C’est incroyable, les avions sont pleins !", se réjouit-il en ce samedi de mars, pourtant saison basse. En quelques semaines seulement, après le feu vert des autorités, les professionnels du tourisme ont dû relancer la machine.
1500 touristes attendus
Sur la piste de l’aéroport d’Atar, dans l’Adrar, au milieu du désert, le charter venu de Paris-Charles-de-Gaulle atterrit pile à l’heure. Les touristes venus d’Europe débarquent, lunettes sur le nez, certains filmant déjà leurs premiers pas sur cette terre ressuscitée.
Avec leur drââ, boubou bleu ample et turban, les Mauritaniens ont l’hospitalité chevillée au corps, héritée de leur culture des caravanes transsahariennes au cours desquelles on échangeait savoirs et biens. Le vent se fait fort, les températures extrêmes, mais le calme mauritanien reste olympien. Guides, chameliers, cuisiniers, aides ont été recrutés en nombre pour satisfaire ces nouvelles arrivées. Une bouffé d’oxygène pour une zone qui en manquait tant. En l’espace de quatre mois, des centaines de Mauritaniens ont ainsi repris un emploi fixe alors que 1 500 touristes sont attendus pour cette première saison. Une aubaine.
Le programme qui les attend est chargé. Il comprend près de deux cents kilomètres de marche dans un sable jaune et fin, au milieu de dunes à perte de vue ou de canyons qui n’avaient plus vu passer de touristes depuis près de dix ans.
Cette région leur est en effet longtemps restée interdite, ou du moins vivement déconseillée. "Nous n’étions plus assurés, la région étant classée en zone rouge, explique Philippe, un amoureux du désert. Les compagnies d’assurances se déchargeaient de toute responsabilité. Mais maintenant, c’est fini ! C’est un bonheur immense. J’attendais ce moment depuis des années".
Lemgheity, la tâche indélébile
Si la Mauritanie s’ouvre de nouveau au monde, pour le plus grand plaisir des voyageurs, le pays revient de loin. Il y a plus de dix ans, en décembre 2007, au moment de Noël, quatre Français étaient assassinés et un autre blessés à Aleg, dans le sud-ouest du pays. Quelques jours plus tard, le Rallye Paris-Dakar était annulé. Un tournant dans l’histoire de la Mauritanie. Trois ans plus tard, toute la zone sahélienne était biffée de rouge par les diplomaties étrangères, signifiant l’arrêt de mort du tourisme pour l’Est Mauritanien.
"Du jour au lendemain, on a perdu 800 emplois directs, des milliers d’emplois indirects, une catastrophe", se souvient Kadi Mehdi. Avant d’ajouter, rageur : "Mais ici dans l’Adrar, il n’y a jamais eu d’incident. On a payé pour le Mali, le Niger. Une injustice". Pendant six longues années, l’Est mauritanien s’enfonce dans la crise.
Le retour des touristes constitue aujourd’hui un test. La Mauritanie a opéré sa mue au niveau sécuritaire. Il y a dix ans, son armée subissait défaite sur défaite de la part des hommes de Mokhtar Belmoktar. Dit le Borgne, ce membre du GSPC, ancêtre d’AQMI, a infligé plusieurs humiliations traumatisantes à l’armée mauritanienne. La plus cuisante eut lieu sur la base de Lemgheyti, dans l’extrême nord, près de la frontière malienne, où nous nous sommes rendus.
Dans ce coin aride et rocailleux, le Borgne et ses troupes armées mènent une opération éclair le 4 juin 2005. Surnommée "Badr", elle n'a duré que quelques minutes. En pleine nuit, des hommes en armes prennent le contrôle de la base, tuant 15 militaires mauritaniens, et repartent avec des prisonniers, des armes lourdes et des véhicules. Lemgheity est devenue la tâche indélébile, la première défaite des forces mauritaniennes face à ennemi qui ne cessait de prendre de l’ampleur, en s’attaquant à des ressortissants étrangers, et en menaçant l’équilibre géopolitique de la région.
Les autorités ont pris la mesure de la catastrophe un mois après la prise du pouvoir par la force du général Ould Abdelaziz. Celui qui est devenu par la suite le président de la Mauritanie s'est attelé à faire renaître une armée en lambeaux.
Aujourd'hui, une vaste réforme est en cours : recrutement, équipement, salaires, logements. En l’espace de quelques années, Noukachott a déployé 20 000 hommes répartis pour la plupart dans de nouvelles unités : les Groupements spéciaux d’intervention (GSI), capables d’agir plus rapidement face à un ennemi mouvant.
Le chef de l’État et son chef d’État-major ont réussi leur pari : dès 2011, l’armée inverse la tendance face à Aqmi, dont certains des émirs sont "neutralisés". L’homme fort de la Mauritanien poursuit une stratégie plus globale en mettant en place une politique de repentance. Un "hiwar" (débat) a lieu dans les prisons pour radicalisés. Des centaines de jihadistes reconnaissent leurs fautes. Politiquement, le président joue la prudence et le pragmatique en ne s’attaquant jamais aux milieux islamistes. Il les fait même rentrer au Parlement, contribuant ainsi à en faire la première force d’opposition.
Une stratégie payante. À ce stade, la Mauritanie est épargnée et les touristes peuvent revenir. La renaissance touristique de l’Adrar est un succès. En atteste cette nouvelle ligne aérienne qui devrait ouvrir en fin d’année entre Marseille et Atar.
Par Mehdi MEDDEB , Stéphane KENECH , Bandit Prod pour France 24