Anciennement Consul général de Mauritanie à Dakar et Ambassadeur au Niger avec juridiction sur le Tchad, le Bénin et le Togo, réputé passionné du Sénégal et très introduit dans les grandes familles religieuses musulmanes du pays, Cheikhna Nenni Moulaye Zeine, né le 31 décembre 1965, à Atar, est revenu au Sénégal, il y a cinq ans, pour y occuper le poste d’Ambassadeur résident de Mauritanie qui couvre la Guinée, la Guinée-Bissau et le Cap-Vert. Titulaire d’un diplôme supérieur en Droit de l'Université du Havre, en France, et de l'Institut de Hautes Études de Défense nationale de Paris, il fut aussi le Directeur général de l'Agence mauritanienne d’information (Ami), l’équivalent de l’Agence de presse sénégalaise (Aps). Dans cet entretien, le diplomate très au fait des questions de géopolitique passe à la loupe les relations entre son pays et le Sénégal.
Excellence, vous venez de boucler cinq ans au Sénégal, comme Ambassadeur de la Mauritanie. Comment jugez-vous l’état des relations entre les deux pays ?
Je remercie votre grand journal pour l'opportunité qui m'est offerte pour s'exprimer sur les relations séculaires entre nos deux pays. Vous n'êtes pas sans savoir que les visites de leurs Excellences, Monsieur Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani au Sénégal en novembre 2019, et celle de Monsieur Macky Sall en février 2020 en Mauritanie, ont impulsé et renforcé la coopération dans tous les domaines.
Je ne cite ici que le partage équitable de la future manne gazière, qui aura sans nul doute des répercussions positives sur le développement des deux pays. Aussi le projet très avancé du pont de Rosso, renforcera les échanges entre les deux pays et les placera dans une position stratégique avec le lancement de la Zone de libre-échange continentale africaine.
Mais, pour qualifier ces relations, je ne trouve pas mieux que
l'introduction du discours de Son Excellence Monsieur Mohamed
Ould Cheikh El-Ghazouani, Président de la République, lors de
l'ouverture du Forum de Dakar sur la Paix, le 04 novembre 2019.
Je le cite : «Je voudrais, surtout, remercier mon frère et ami le Président Macky Sall de m’avoir octroyé l’ultime privilège d’être cette année l’hôte d’honneur de cet important évènement et c’est seulement à quelques mois de ma prise de fonctions en tant que Président de la République Islamique de Mauritanie. Il n’y a aucun doute que cette invitation et l’attention toute particulière empreinte de majestueuse et élégante Téranga sénégalaise montrent le niveau exceptionnel des relations fraternelles et amicales ainsi que l’histoire et le destin communs qui lient nos deux pays et nos deux peuples.» Fin de citation.
Ces relations que vous qualifiez d’excellentes sont multiformes, car elles touchent des domaines aussi variés dont le plus saillant est la pêche. Où en sont les deux pays ?
Le protocole d’application de la convention en matière de pêche
et d’aquaculture a été signé le 02 juillet 2018. Il est d’une durée d’un an et renouvelable par négociation. Le 18 février 2020, un avenant a été signé et à pour l'objectif d'assurer l'approvisionnement du marché sénégalais. Le procès-verbal de négociations en vue de son renouvellement en mars 2021, a été signé le 04 février 2021 à Saint-Louis par les représentants des deux ministères des Pêches. Le quota alloué aux pêcheurs sénégalais est de 50 000 tonnes par an pour 500 embarcations, soit 250 sennes tournantes. Les espèces ciblées sont les pélagiques, à l’exception du mulet. La production des embarcations autorisées dans le cadre du protocole est débarquée à Saint-Louis, en attendant la réalisation des infrastructures permettant son débarquement en Mauritanie. Les 06% des captures des 500 embarcations, doivent débarquer obligatoirement en Mauritanie afin d’approvisionner le marché local. Pour l'accès à la ressource, l’exploitation du quota n’est plus soumise au paiement des redevances depuis la signature de l’avenant. La redevance était de 15 euros la tonne à pêcher. Auparavant, les licences trimestrielles renouvelables étaient établies et délivrées aux embarcations. Depuis la signature de l’avenant, les embarcations sont autorisées à exercer leurs activités de pêche par des messages signés par le Ministre.
Les mécanismes et procédures de contrôle et de suivi sont mis en place par les deux parties pour le respect des dispositions du protocole d’accord et de son avenant.
Dans ce cadre, une équipe de garde-côtes mauritanienne est
désormais présente à Saint-Louis pour le suivi des quantités débarquées, l’identification des embarcations autorisées, l’octroi des autorisations de sortie en zone de pêche.
Présentement, la partie mauritanienne fait face à un certain
nombre de problèmes dont : l'extension de la validité des licences de pêche à la durée du protocole d’application ; la non identification des 100 embarcations supplémentaires, notamment la pose des scellés ; l'identification du Capitaine et le jaugeage de l’embarcation par la partie mauritanienne. Le débarquement des 06% des captures en Mauritanie conformément aux dispositions du Protocole pour des raisons liées au Covid19 reste un problème majeur, en plus le blocage des embarcations affrétées au Sénégal, celles-ci contribuaient grandement à l’approvisionnement des usines de traitement et au marché local. Le Département des pêches fait face à des pressions de la part des opérateurs bénéficiaires de ces affrètements pour l’obtention d’une autorisation de retour de ces embarcations de sennes tournantes.
On sait que les enjeux sécuritaires du fait surtout du terrorisme et du banditisme transfrontaliers préoccupent
les deux Présidents. À ce stade, où en est concrètement la coopération entre les deux pays ?
Conformément aux directives des deux Chefs d'État, la Mauritanie et le Sénégal renforcent davantage leur coopération dans tous les domaines et en particulier celui de la coopération militaire et sécuritaire. C'est ce qui est ressorti de la visite du Chef d'état-major général sénégalais, le Général de Corps aérien Birame Diop, du 16 au 19 décembre 2020, en Mauritanie. Le voyage entre dans le cadre du renforcement de cette coopération dans les domaines ci-après : formation du personnel dans les différents établissements ; recyclage; perfectionnement ; assistance technique ; réalisation d'infrastructures spécialisées ; soutien logistique ; échange de spécialistes, experts, consultants. Il y a aussi l'exécution d'exercices militaires conjoints et l'invitation d'observateurs militaires. L'échange de délégations, invitations mutuelles (manœuvres, conférences, séminaires etc.). Rencontres périodiques entre Commandants de zones militaires et Commandants de régions militaires, de légions de gendarmerie et de régions frontalières.
Au plan important de la sécurité transfrontalière, les deux pays
exercent la surveillance des frontières terrestres, maritimes, fluviales par des patrouilles conjointes ou simultanées, des
contrôles des points de passage. Ils utilisent de manière réciproque leurs bases terrestres, aériennes, et navales. Naturellement, en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, le Sénégal et la Mauritanie procèdent par la mutualisation des efforts de lutte, le partage du renseignement, et l'organisation périodique de patrouilles mixtes. Pour finir, je citerai leurs échanges d'expérience en matière d'opérations de maintien de la paix.
En matière d’éducation, tant de l’école française qu’islamique, les échanges sont-ils consolidants ?
La coopération dans le domaine de l'enseignement occupe une
place privilégiée dans nos relations. Elle est régie par une
convention signée à Dakar en novembre 2015, lors de la tenue de
la Grande Commission mixte. Elle est appliquée, en dépit de l'absence de la signature d'un programme exécutif. La convention ouvre la voie aux étudiants des deux pays d'accéder aux établissements d'enseignement supérieurs suivant certaines conditions. Dans ce cadre, le nombre d'étudiants mauritaniens inscrits dans les établissements d'enseignement supérieur public est de 774 répartis comme suit: 470 à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar dont 120 inscrits à
l'École Polytechnique ; 287 à l’Université Gaston Berger de Saint
Louis ; 10 à l’Université de Bambey ; 07 à l’Université de Ziguinchor. Il convient de noter l'existence de deux accords entre l'Université de Nouakchott et respectivement l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar et l'université Gaston Berger de Saint Louis. Ils stipulent que les mêmes conditions d'accès à ces établissements applicables aux Sénégalais sont applicables aux étudiants mauritaniens et vice-versa. Les quotas dans les établissements sénégalais sont illimités pour les Mauritaniens, sauf en médecine où le gouvernement sénégalais offre 15 places annuellement à notre pays. Le nombre d'étudiants inscrits dans les établissements d'enseignement supérieur privé est variable. Il a été estimé en 2019 à 500 étudiants inscrits essentiellement dans les instituts professionnels, les écoles de santé à Dakar, Thiès et Saint-Louis.
Dans le cadre de cette coopération, la Mauritanie offre au Sénégal 57 professeurs qui enseignent dans les Instituts islamiques de Elhaj Cheikh Ibrahim Niass, Elhaj Malick SY, Institut Alazhar, Dar Alghouran, Institut Ndiassane, Institut Elhaj Diop de Rufisque, Institut Ehel Cheikh Elmaaloum. Aussi les étudiants sénégalais sont très présents dans les facultés des Lettres et Sciences islamiques à travers toute la Mauritanie.
Excellence, il y a un autre secteur économique particulièrement important qui lie les deux pays frontaliers, c’est
l’élevage transhumant. Où en est-il ?
Ce mode d’élevage résilient, présente d’innombrables avantages socio-économiques et socioculturels qui consolident l’intégration et la solidarité entre les peuples. Les éleveurs de la Mauritanie et du Sénégal partagent ainsi les ressources existantes de
part et d’autre à travers les mouvements de transhumance transfrontalière de bétails. Les gouvernements de deux pays ont signé un accord de transhumance depuis 2006 pour rendre cette activité plus bénéfique et plus durable. Cet accord a mis en place un mécanisme de concertation continue et un cadre d’échanges entre les autorités de deux pays afin de surmonter certaines difficultés qui surgissent de temps en temps entre les usagers des espaces pastoraux. Cette activité stratégique doit être maintenue et renforcée par la régularité des réunions des comités régionaux, la mise en place d’outils d’échange, d’information entre les services techniques de part et d’autre, le renforcement des investissements dans les zones de transhumance communes entre les deux pays et sensibiliser les éleveurs et les pasteurs sur la nécessité de protection des parcours.
On sait que la Mauritanie est une des plus grandes pourvoyeuses du Sénégal en mouton, chaque année lors de l’importante fête musulmane de la Tabaski, comment se porte ce marché ?
La filière bétail sur pied et viandes rouges est l’une des plus
importantes spécialités de l’élevage mauritanien. La Mauritanie
est autosuffisante en viande et compte parmi les plus grands
pays sahéliens exportateurs de bétail. De nombreux réseaux informels d’exportation sont déjà très actifs dans la sous-région. La très grande majorité de ces exportations concernent le bétail sur pied vers le Mali et le Sénégal pour les petits ruminants et les bovins et vers le Maghreb pour les camelins. Ces échanges régionaux s’appuient sur d’anciens réseaux sociaux dans les espaces transnationaux avec des circuits bien structurés mais pratiquement dépourvus d’aménagements.
Depuis six ans, la Mauritanie et le Sénégal fournissent des efforts importants pour organiser et formaliser le flux de commerce de bétail sur pied pendant la période de la fête de Tabaski. Dans ce cadre, un accord est signé chaque année entre les deux ministères en charge de l’Élevage pour faciliter l’approvisionnementdes marchés sénégalais en moutons avant la fête. Selon les statistiques du ministère de l’Élevage sénégalais, plus de 450 000 moutons mauritaniens ont été vendus sur le marché du Sénégal pendant les trois semaines de la fête de TABASKI de 2020, soit un montant de 31 milliards de FCfa. Ces accords prennent en compte toutes les mesures incitatives de nature à encourager les commerçantsmauritaniens à ravitailler les marchés sénégalais en nombre suffisant d’animaux. Dans ce cadre, nous proposons la mise en place de mécanismes structurants afin de garantir un écoulement des moutons introduits sur le territoire sénégalais et permettre aux
commerçants mauritaniens de tirer le maximum de profit de cette activité importante. Il est aussi nécessaire de protéger les parcours des bétails mauritaniens traversant le Mali et passant par Kedira.
Entretien réalisé par
Yakham Codou Ndendé MBAYE
LUNDI 15 FÉVRIER 2021
SPÉCIAL MAURITANIE