Mohamed Sidati, une des figures de proue du Polisario, et qui en est également l’ambassadeur en France, est revenu, dans un entretien réservé à La Patrie News sur la grave responsabilité de cette dernière dans l’enlisement du conflit sahraoui. S’il qualifie la décision de Trump sur la prétendue « marocanité du Sahara Occidental, de brigandage international, il n’en ajoute pas moins qu’elle n’a servi qu’à décrédibiliser Washington sur cette question, tout en donnant un souffle nouveau et salvateur à cette cause. Désormais à la croisée des chemins, le Sahara Occidental, qui est à un tournant historique, n’a jamais été aussi proche de la victoire. Un entretien vivant et passionnant à lire avec une extrême attention.
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
La Patrie News : quels commentaires vous inspire la dernière réunion du Conseil de sécurité, tenue lundi-soir à huis-clos, et dont on ne connait pas encore l’intégralité des conclusions ?
Mohamed Sidati : ma première impression est que les conclusion de cette rencontre sont très favorables pour le peuple sahraoui. J’ai d’excellentes raisons de dire cela. En effet, il s’est dégagé un large consensus au niveau des pays membres du Conseil de sécurité pour affirmer, et réaffirmer avec force, que le conflit du Sahara Occidental est bel et bien une affaire de décolonisation. Partant, sa solution est directement liée à l’exercice du peuple sahraoui de son droit à l’autodétermination. Plus important encore, il s’est dégagé, au sein de ce conseil, une totale unanimité chez les pays membres concernant le fait que le dossier du Sahara Occidental doit impérativement rester aux mains des Nations-Unies. L’ONU est en effet responsable, protecteur et garant du droit du peuple sahraoui à décider librement et souverainement de son destin, dès lors que le Sahara Occidental est un territoire non-autonome. De par la charte des Nations-Unies, ce territoire relève de la responsabilité pleine et entière de cette organisation internationale.
La Patrie News : En l’absence des détails liés à cette rencontre, je vous demande de tenter d’expliquer cette dualité de position des Etats-Unis, membre permanent de ce conseil, après la reconnaissance par le président américain sortant de la prétendue marocanité du Sahara Occidental ?
Incontestablement, cette apparente dualité donne lieu à des spéculations. Mais le fait essentiel et incontestable que l’on doit retenir et garder en mémoire, c’est que la question du Sahara Occidental a retrouvé une place prépondérante auprès de tous les pays, qu’ils soient membres ou pas du Conseil de sécurité. Cette question redevient prioritaire. C’est une immense victoire pour nous. Plus important encore : la question du Sahara Occidental devient un paradigme, une référence. On n’en a jamais autant parlé depuis l’éclatement du conflit armé à cause de la rupture du cessez-le-feu par le Maroc à El Guerguerat. N’oubliez pas que le Maroc a violé le cessez-le-feu le 13 novembre passé, ce qui a impliqué la riposte du peuple sahraoui en situation de légitime défense et, donc, la reprise du conflit armé. L’autre élément fondamental que je souhaite également mettre en exergue, est que la décision de monsieur Trump, que je qualifie, pour ma part de brigandage international, n’a pas eu l’écho, ou l’impact qui en était attendu. Tous les pays qui sont intervenus ont désavoué le président américain en réitérant le fait que la question du Sahara Occidental ne peut aucunement être résolue par telle ou telle initiative, surtout si celle-ci relève d’une vulgaire action de brigandage international. Cette question ne dépend pas d’un autre pays, quel qu’il soit. Il s’agit, éminemment, d’une affaire de décolonisation, relevant de la résolution 15-4 des Nations-Unies. Pour nous, ce constat premier est fondamental. L’autre point qui me semble important à relever c’est que les Etats-Unis se sont retrouvés isolés au niveau du Conseil de sécurité. C’est dire que l’impact de la décision de Trump a été extrêmement négatif pour le prestige et l’image de ce pays. Cette décision provoque l’indignation et la surprise au sein de tous les pays. Il ne faut pas oublier, en effet, que les Etats-Unis étaient les « pen holder » au Conseil de sécurité de l’ONU. Cela veut dire que c’était les diplomates américains qui avaient pour mission de rédiger toutes les résolutions concernant le Sahara Occidental. Ils viennent de perdre cette crédibilité et cette position privilégiée dans le règlement de ce conflit. J’en profite pour remettre au goût du jour une revendication qui me semble fondamentale. Sachant que les Nations-Unies sont un instrument essentiel pour résoudre pacifiquement et efficacement tous les conflits, il ne faut surtout pas que la force y prime sur le droit. L’invasion marocaine et la déclaration de Trump s’inscrivent toutes deux dans la logique de la force. Or, lorsque la force préempte sur le droit, ce n’est ni le Maroc ni les Etats-Unis qui ont le monopole de la force. En effet, le peuple sahraoui est en droit de recourir légitimement à la force pour défendre les siens. Le droit doit impérativement primer sur la force.
La Patrie News : Justement, après ce brigandage international, précédé par trente et interminables années d’attente et de fausses promesses, ne pensez-vous pas qu’il y a démission des instances internationales, et abandon par celles-ci de la cause sahraouie ?
Vous m’avez interrogé au début sur le Conseil de sécurité. Je veux vous dire à présent ce qu’est la frustration du peuple sahraoui vis-à-vis de la communauté internationale. Le peuple sahraoui a déposé les armes en toute bonne foi. Il avait cru aux promesses des Nations-Unies et de la communauté internationale. Voilà trente ans qu’il est dans l’attente, et en perte de vitesse dans ses droits fondamentaux. La MINURSO, qui est la mission des Nations-Unies pour le référendum au Sahara Occidental, s’est transformée en un instrument de complaisance, pour ne pas dire de complicité, avec l’occupant. Cette présence stérile et complice rend le Maroc plus téméraire, et l’encourage tacitement à violer le droit international. Le Maroc, si je puis dire, « a chosifié les Nations-Unies parce qu’il agit dans la plus totale impunité. Il a vidé les Nations-Unies de leur essence. Il a complètement détourné de son cours un processus légal qui, à l’origine, devait déboucher sur la tenue d’un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui, en faveur de ses thèses illégales et expansionnistes. Les Nations-Unies, au même titre que la communauté internationale, ont été en-deçà de leurs responsabilités, et n’ont pas su s’acquitter de leurs obligations vis-à-vis du peuple sahraoui.
La Patrie News : En parlant de responsabilité non assumée, et de complicité, je souhaite évoquer avec vous le cas particulier de la France que vous connaissez très bien, à cause de laquelle le dossier sahraoui est resté en l’état depuis trente années. Un commentaire ?
Je dois dire clairement, et franchement les choses. N’eut été le comportement de la France, le conflit du Sahara Occidental aurait été résolu correctement et justement depuis très longtemps. Ceci d’une part. De l’autre, si le Maroc agit dans l’impunité, et viole le droit international, c’est que la France a tout fait pour que la question du respect des droits de l’Homme soit adjointe au mandat de la MINURSO. Ce triste constat illustre parfaitement l’immensité de la responsabilité dans l’enlisement de ce conflit. Mais, à la faveur de cette nouvelle situation, basée sur la reprise du conflit armé et le retour de la question sahraouie au-devant des préoccupations onusiennes, il me semble que c’est le moment idoine pour la France de reconsidérer son attitude. Cette dernière a toujours été porteuse d’insécurité et d’instabilité. J’ajouterai que si la France prétend vouloir avoir des relations équilibrées avec l’ensemble des pays de la région et aider à la consolidation du Maghreb arabe, celui-ci ne peut se faire qu’à six. Il inclut impérativement le Sahara Occidental. L’exclusion du Sahara Occidental ne peut que mener vers l’incertitude ou carrément le désastre.
La Patrie News : A l’évocation de l’Union africaine, où le dossier sahraoui est également devenu prioritaire, qu’est-ce que vous en attendez concrètement ?
La force de la cause sahraouie réside dans le fait que la RASD (république arabe sahraouie et démocratique) est membre de cette Union.
Elle en est même membre fondateur…
Exactement. Si nous en sommes membres fondateurs en effet, c’est que nous épousons incontestablement, et sans réserve, les principes fondateurs de l’Union africaine. Nous en avons même été les promoteurs. J’ai beaucoup travaillé sur ce dossier avec le défunt président sahraoui Mohamed Abdelaziz. Nous avons pris une part active à la rédaction de la charte fondatrice de l’Union africaine. C’est vous dire que cette Union est essentielle pour nous. Cela revient à dire que l’Union africaine, qui est une valeur et une plus-value, soutient sans réserve la cause juste et noble du peuple sahraoui. Voilà pourquoi je peux affirmer ici, sans le moindre risque de me tromper, que l’Union africaine jouera un rôle essentiel dans l’accomplissement de l’autodétermination du peuple sahraoui.
La Patrie News : A présent, que ce conflit armé vient d’éclater, et qu’il est hors de question pour le Polisario de déposer les armes pour ne plus vivre le cauchemar des fausses promesses qui avaient suivi le cessez-le-feu de 1991, comment est-ce que vous appréhendez la suite des évènements ?
Le peuple sahraoui a retenu beaucoup de leçons importantes à travers ses trente ou quarante années de combat incessant. Ils en ont acquis la ferme conviction que s’il faut impérativement aller ver des négociations, il n’en faut pas moins garder constamment un doigt sur la gâchette. Pour ce qui nous concerne, on est prêts à négocier sérieusement et efficacement. Dans le même temps, il n’est pas question de céder, de cesser la résistance armée, tant que nous nous n’aurons pas réalisé nos objectifs, à savoir, l’autodétermination, la liberté et l’indépendance pour le peuple sahraoui.
La Patrie News