« J’ai abordé ces questions avec le président de la République et notamment l’exclusion continue et de plus en plus importante des franges de la population d’ascendance africaine et d’origine servile. Cette exclusion dénote de la dérive injuste, sectaire du pouvoir depuis plusieurs décennies, une situation qu’il faudrait corriger car elle menace la paix civile, l’unité nationale et la pérennité de l’Etat mauritanien. »
Au sortir d’une audience accordée par le président de la République Mohamed Ould Cheikh Ghazwani le 28 août dernier vous avez déclaré à l’occasion d’une conférence de presse que la Mauritanie a changée depuis l’alternance de 2019 ? Qu’est ce qui vous pousse à dire cela ?
Birame Dah Abeid (BDA) : Effectivement tel est le cas. En effet, le changement en Mauritanie que j’ai évoqué dans ma dernière conférence de presse c’est d’abord la décrispation du climat politique, le dégel intervenu entre la classe politique et le nouveau président qui a pris l’initiative d’engager des contacts, des rencontres d’échanges avec la classe politique y compris les opposants.
On a ainsi tourné la page des invectives, des insultes et des accusations que son prédécesseur distribuait à l’endroit de ses opposants, sans aucune retenue.
Il y a eu aussi la levée des poursuites judiciaires qui étaient engagés contre des opposants et contre des personnes supposées avoir des complicités avec les opposants.
A noter également l’ouverture des médias envers l’opposition. Aujourd’hui nous avons accès aux médias publics qui nous étaient interdits auparavant.
Autre avancée à signaler, c’est la volonté du président de la République de respecter la séparation des pouvoirs d’où la marche acceptable de la Commission d’Enquête Parlementaire (CEP) et l’entame d’une enquête judiciaire autour du rapport de la CEP sur la gabegie de la décennie passée.
Ajouter à tout cela plus de respectabilité pour les élus du peuple qui étaient humiliés, vilipendés et torturés par l’ancien régime et ses acolytes ; des élus qui peuvent maintenant jouer leur rôle en tant que superviseurs du travail de l’Exécutif, des dépenses des deniers publics et du respect de l’Etat de droit. Et dans le cadre de cette mission, ils sont reçus avec tous les égards dans les départements ministériels. Je pense que c’est un début de changement inédit et inespéré et qui nous permet de transmettre cet espoir pour nos populations qui luttent pour un changement pacifique en Mauritanie.
Au cours de votre audience avec le président Ghazwani vous avez parlé des inégalités et de l’exclusion. Pouvez-vous nous en dire plus ?
BDA : J’ai abordé ces questions avec le président de la République et notamment l’exclusion continue et de plus en plus importante des franges de la population d’ascendance africaine et d’origine servile. Cette exclusion dénote de la dérive injuste, sectaire du pouvoir depuis plusieurs décennies, une situation qu’il faudrait corriger car elle menace la paix civile, l’unité nationale et la pérennité de l’Etat mauritanien. En effet, il est inconcevable et dangereux que les différents corps civils et militaires de l’Etat mauritanien soient composés des membres d’une seule communauté nationale et il est inconcevable que les richesses du pays et le pouvoir politique restent circonscrits entre les mains du pré carré de quartiers résidentiels et administratifs allant du Carrefour Madrid et englobant Tevrak Zeina, Soukouk et le Ksar Nord. En effet, ce sont les résidents de cette portion du territoire de Nouakchott qui dirigent la Mauritanie dans tous ses leviers de commandements, dépensant ou dilapidant les richesses du pays, se distribuant les terres, les licences de pêche, les mines, les Banques, l’aide financière extérieure, le personnel du Corps diplomatique, et cela au détriment de ceux qui vivent dans le reste du territoire de Nouakchott, les quartiers périphériques populeux et les campagnes de l’intérieur du pays.
Nous espérons que le président de la République Mohamed Ould Cheikh El Ghazwani apportera une solution à cette carte sociopolitique et économique hideuse afin de juguler ce face à face dramatique entre cet îlot d’opulence insolent et le reste de la Mauritanie dévastée par la déscolarisation, l’absence de couverture sanitaire et d’eau potable, le délabrement des routes et la flambée du chômage.
Avez-vous reçu des assurances au sujet de la légalisation de votre parti, le RAG ?
BDA : Oui. J’ai eu des assurances de la part du président de la République que tous les mauritaniens bénéficieront de droits que leurs confèrent les lois et la Constitution mauritaniennes, notamment en ce qui concerne le droit de s’associer, de se présenter aux élections, d’élire ou de se faire élire.
Selon certaines sources lors de l’audience avec le président Ghazwani, ce dernier vous aurait reproché vos critiques à l’endroit de l’ex président Aziz et vous aurait demandé de rester dans le cadre de l’objet de l’audience. Qu’en est-il au juste ?
BDA : J’ai effectivement constaté à travers une publication du journaliste Cheikh Haidara que le président m’aurait dit qu’il ne fera qu’un mandat et qu’il n’est pas intéressé par le pouvoir et qu’il m’a stoppé net lorsque j’ai commencé à asséner des critiques contre Aziz et que le président m’a incité à dire l’objet de ma demande d’audience.
Je dirais à ce propos que je connais très bien la source malsaine de cette information et de cet acharnement contre moi, contre ma personne et contre toute possible entente entre moi et le président Ghazwani dans l’intérêt de l’épanouissement national.
Je voudrais préciser ici que je ne suis pas tenu de livrer tout le contenu de mes entretiens avec le président de la République et ce n’est pas dans mes habitudes de le faire. Je livre de manière précise à l’opinion publique et à mes soutiens ce qui alimente et anime l’espoir des mauritaniens pour un avenir meilleur ; juste les informations qui peuvent nourrir et construire la confiance pour plus d’épanouissement, plus d’entente, plus de paix des cœurs et plus d’Etat de droit.
Donc je laisse à ce piètre manipulateur éhonté propager à sa guise cette information erronée, ce qu’il caresse et appelle de ses vœux c’est-à-dire le fait de voir le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazwani désister de sa candidature pour un second mandat en 2024. Je ne suis pas le porte parole, le porte venin de cette personne mal intentionnée et moins encore le porte parole du président Ghazwani pour livrer ses intentions de rempiler pour un second mandat ou non.
Quand à assainir la scène politique, c’est-à-dire les rapports politiques entre le pouvoir et l’opposition, il m’apparait bien que ceci est dans l’intention du président Ghazwani. Et il est faux, archi-faux de dire que j’ai parlé de l’ancien président dans mes deux rencontres avec le chef de l’Etat, je ne l’ai fait ni en octobre dernier et encore moins ce 28 août. Je n’ai pas parlé de l’ancien président ni en mal et encore moins en bien.
Je ne fais pas partie de ceux qui ont pris la poudre d’escampette et qui se sont enfuis, la peur au ventre et qui étaient incapables d’affronter l’ancien président lorsqu’il s’est érigé en despote, en tyran durant ces onze dernières années de règne. Je ne fais pas partie non plus de ceux qui sont restés au pays en adoptant un profil bas ou en léchant les bottes du tyran. Moi Birame Dah Abeid, je me suis dressé la tête haute, le verbe haut, en prison, enferré. J’ai tenu tête dans ma demeure, dans la rue et à l’étranger à Mohamed Ould Abdel Aziz et cela durant plus de dix ans et j’ai passé la moitié de son règne en prison, à intervalles réguliers. Donc ce n’est pas moi qui ai besoin de rattraper le temps, de rattraper le courage, de rattraper la témérité, de perdre ma dignité pour s’en prendre à Aziz alors qu’il est devenu un citoyen lambda, vomi de tous et vilipendé par n’importe qui et même par ceux qui l’adulaient, qui le déifiaient ou ceux qui par peur, par manque de courage se sont enfuis jusqu’à la fin de son règne. Moi, mes comptes je les ai réglés avec Aziz lorsqu’il était encore fort et dangereux. Maintenant c’est aux feuillards et aux lécheurs de bottes, c’est aux lâches de s’en prendre à Aziz pas ceux qui sont dignes et courageux comme moi.
Je souligne aussi que la source mensongère qui a induit votre confrère Cheikh Haidara en erreur fait semblant de méconnaitre une qualité propre au président Ghazwani et une qualité propre à Birame Dah Abeid.
Le président Ghazwani, de par son éducation et sa confiance en soi ne commet jamais d’impolitesse, et surtout pas du genre à stopper ou à interrompre une personne qui parle alors qu’il la reçoit. C’est là lui faire mauvaise presse injustement, le fait de lui prêter ce genre de tempérament.
Quand à moi Birame Dah Abeid, aucune personne, aucun homme ne peut tenter de m’interrompre ou de me faire taire sur aucun sujet que ce soit pour la simple raison que je suis très libre et très réfractaire aux ordres qui ne s’assimilent pas aux normes et aux lois. Et c’est méconnaître Birame que de lui prêter ces tares de courtisan.
Je voudrais aussi informer davantage vos collègues ainsi que l’opinion publique que la nature de ma rencontre avec le chef de l’Etat ne peut pas être qualifiée d’une simple demande d’audience. Non. C’est une rencontre qui a été longtemps travaillé, organisée, muri et ses thèmes ont été décortiqués de part et d’autre avant le jour J. Et c’est l’occasion encore une fois pour moi de remercier vivement le président de la République Mohamed Ould Cheikh Ghazwani.
Que répondez-vous à ceux qui considèrent que vous avez été un allié de l’ex président Mohamed Ould Abdel Aziz ?
BDA : Je vous pose une question : Mon alliance avec Aziz se manifeste en quoi ? Ce n’est là que le recours des lâches qui ont été incapables de tenir tête à Ould Abdel Aziz. Ce sont ces lâches qui tentent de se dédouaner vis-à-vis de la performance de Birame Dah Abeid et du mouvement IRA. C’est une performance qu’on a pu gagner de haute lutte avec de gros sacrifices. Leur lâcheté ne leur permet pas cela et c’est pourquoi ils sont obligés de se rabattre sur des ragots de ce genre. Il faut plutôt me dire que le RFD a été l’allié de Aziz qu’il a soutenu au lendemain du coup d’état contre Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Là je dirai oui.
Le parti Hatem a été l’allié de Aziz parce que certains de ses membres avaient été cooptés dans son gouvernement après le coup d’état.
Tawassoul a été l’allié de Aziz. Cette alliance s’est manifestée pendant les Sénatoriales avec une présentation de listes communes entre ce parti et l’UPR.
Par ailleurs je peux comprendre qu’on me dise que les opposants de Aziz ont été ses alliés cela se justifie par le fait qu’ils n’ont pas été envoyés en prison comme Birame qui a été emprisonné jusqu’à la dernière année de Aziz au pouvoir. En plus ces opposants sont restés fonctionnaires. Ils ont continué à percevoir leurs salaires et n’ont pas été congédiés de leur travail par Aziz, comme Birame. Ces opposants, Aziz leur payait leurs soins contrairement à Birame. Ceux qui payaient mes soins ils se connaissent et ils peuvent le dire.
Donc on pourrait dire à la rigueur que les partis d’opposition, les ONG de la Société Civile étaient des alliés de Aziz car il les a légalisés ou leur a permis de continuer à exister. Alors que Birame a été privé par Aziz de récépissés pour l’ONG IRA et le parti RAG.
Tous ces gens je peux dire qu’ils sont les alliés de Aziz car leurs rassemblements et leurs manifestations n’étaient pas réprimés dans le sang durant le règne de Aziz. Par contre c’était la répression, la torture et la prison pour Birame et pour les militants du mouvement IRA.
Et puis ces opposants n’ont pas été diabolisés par Aziz comme Birame l’a été par le biais de la diplomatie, des mosquées et des partis fantoches. Ce ne sont pas les opposants de Aziz à qui on a fracturé les pieds de leurs épouses et de leurs enfants mais c’était Birame et les siens. Donc comment pourrait se manifester mon alliance avec Aziz ? Par la violence contre ma famille ? Par l’embastillement de mes militants ? Par mon emprisonnement, ma torture et la torture de mes amis ? Par l’interdiction de notre ONG et de notre parti ? Par notre diabolisation par les mosquées, les médias, les milieux diplomatiques ? Par la confiscation de mon salaire durant tout le règne de Aziz ?
L’alliance dont on parle c’est plutôt que notre action s’est manifesté par des faits incontestables et connus de tous. Nous avons opté pour une action frontale et nous avons tenu le discours le plus dur qui se résumait à une dénonciation systématique et sans complaisance du régime de Aziz aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Cette dénonciation a usé de tous les canaux disponibles (presse, réseaux sociaux, forums internationaux…) Notre discours était celui qui présentait le minimum de concessions à Aziz alors que le discours des autres et même celui tenu par l’opposition, accompagnait Aziz dans sa diabolisation de Birame et le RAG. Je me demande encore en quoi pourrait se matérialiser cette alliance ? Il faut un élément matériel. Pendant les deux dernières élections présidentielles (2014 et 2019) j’ai été candidat le plus combattu par Aziz. Pendant ces élections, pour se présenter, tous les candidats ont bénéficié des signatures des maires et des conseillers du parti au pouvoir. J’en ai bénéficié aussi comme Mohamed Ould Mouloud, Kane Hamidou Baba et d’autres. La liste est longue.
Peut-être que cette alliance se manifesterait concrètement par le fait que Aziz m’a emprisonné à la veille des dernières élections, ce qui ne m’a pas empêché de gagner des communes, une forte minorité de députés, des conseillers régionaux. Si le fait de m’emprisonner pour m’empêcher de concurrencer les riches, si c’est ça notre alliance, qu’est ce que j’en tire, moi ? Peut-être que la CEP et la police des crimes économiques, les tribunaux doivent se pencher sur la question pour faire apparaître les montants que les esprits lâches et malades disent que Aziz m’aurait versé en contrepartie de mes longues périodes d’emprisonnement, mes amis de IRA et moi ; en contrepartie de la violence que ma famille, mes militants et moi avons subi ; en contrepartie des dénigrements que j’ai subi à l’intérieur et à l’extérieur. Cela devrait constituer des sommes faramineuses. La CEP et la police des crimes économiques doivent faire apparaitre ces sommes astronomiques. Et combien alors Aziz aurait-il donné à ces dizaines de milliers de personnes qui ont fait du théâtre à son service ? Quel était le mode de paiement de ces foules ? Comment tous ces militants ont pu signer leurs contrats ? Et les autres membres de cet orchestre du théâtre décennal que Birame Dah Abeid aurait joué avec Aziz ? Je vous rappelle que les jury qui ont décerné des prix et des médailles à Birame Dah Abeid sont entre autres le jury des Nations Unies, le Front Ciné Defender, le Jury de Weimar, le Jury du Département d’Etat Américain, le Jury du ministère Hollandais des Affaires Etrangères (Prix Tulipe), le Jury du prix Martin Luther King, le Jury de l’université de Louvain en Belgique pour l’octroi du doctorat Honoris Causa, le Jury du Times Magazine en 2017 pour les cent personnes les plus influentes du monde. Toujours en 2017, le Jury du Magazine africain et de Jeune Afrique pour mon classement parmi les quinze africains les plus influents du continent. Et en février 2020 l’octroi du Prix Courage à Genève pour les Droits de l’Homme.
Tous ces jurys aguerris avec toute leur probité et leur crédit moral international sont-ils membres de l’orchestre théâtral qui a joué avec Aziz et Birame de 2008 à 2019 ? Aziz les a-t-il achetés ou Birame les a-t-il payés ? Où sont-ils les dindons de la farce ? Ils ont pu reconnaître Mandela, Martin Luther King, Jimmy Carter et j’en passe. Ils ont pu reconnaître ces leaders avec leurs moyens d’identifier et de coopter les personnalités méritantes. Mais, avec Birame, ils ont été myopes et ils sont tombés sur la mauvaise personne selon les chantres de la médisance et les lâches.
Maintenant Aziz est parti et on va voir ce qui va advenir de Birame, de IRA et du RAG. Peut-être doivent-ils s’ils ne veulent pas couler convaincre Ghazwani de jouer le même théâtre avec eux !
Propos reccueillis par Bakari Guèye
Source : Es-sada Echos N°04 du 02/09/2020