Reportage/Marché Point Chaud: Un marché où tout bouillonne
En novembre 2000, un deuxième réseau de téléphone mobile est lancé en Mauritanie. Très vite, à Nouakchott, un marché informel s’improvise en jouxtant le siège de ce nouvel opérateur qui faisait face à la Mosquée saoudienne. Un marché qui devient un lieu de convergence de nombreux jeunes, venus des différents coins de la ville.
Parmi eux, des commerçants, des hommes de métiers, des chômeurs, des élèves et étudiants, des étrangers et «mêmes des fonctionnaires». Tous s’adonnent au commerce, au troc et à la réparation de téléphones portables, à la vente de ses accessoires ainsi que la revente des cartes de recharge des différents opérateurs GSM.
Au fil du temps, le marché s’organise. On y trouve, aujourd’hui, des boutiques, plus ou moins modernisées, qui vendent des portables de hautes gammes (IPhone, LG, Nokia 1110) coûtant de 100.000 UM à 240.000 UM. En revanche, il y a de quoi fasciner la petite bourse, en l'occurrence, des téléphones à 5.000 UM. Mais aussi des téléphones à deux fois rien, vendus à risque pour un client qui le saura plus tard à ses dépens.
D’où l’appellation «Point Chaud», pour ce marché où tous les coups sont permis. Chaud, le marché du portable est un véritable «Point chaud» !
Cela est d’autant plus vrai que même les ressortissants étrangers sont entrés dans la danse. Ainsi, outre les mauritaniens, le marché «Point Chaud» est fréquenté par des sénégalais, des gambiens, des camerounais, des ivoiriens, des maliens, des burkinabè etc. Dans les derniers imprévus à s’inviter à «Black mic-mac», sont évidemment … les chinois.
La réussite du marché «Point Chaud» sera telle que bien d’autres viendront s’ajouter aux premiers et aux tout derniers venus, comme pour combler ce décor : les commerçants des produits alimentaires, les restauratrices, les vendeurs de boissons, les coiffeurs, ceux qui étalent leurs marchandises variées sur des véhicules garés …
Au bout du compte, un poste de police sera indispensable pour assurer la sécurité, car les pickpockets et autres délinquants rôderont ici, chassant des proies ou vendant des objets volés.
Une marée humaine
Pour les besoins de notre reportage, nous nous rendons donc au Point chaud où nous rencontrons trois jeunes ambulants, Omar, Ousmane et Ahmed, tenant entre leurs mains, des téléphones portables qu’ils veulent écouler avant le crépuscule. C'est d’abord, Ousmane qui nous relate son parcours : «J’ai fait cinq ans dans ce marché. Avant, je faisais le transport, mais j’ai vendu la voiture et je me suis reconverti dans le commerce des téléphones portables. C’est un commerce qui marche bien. En une seule journée, je peux gagner jusqu’à 2000 UM».
Sur la même lancée Omar ajoute : «Moi je vendais des chaussures, mais j’en tirais pas grand-chose. J’ai décidé donc de tenter ma chance en vendant les téléphones portables et ça a marché. Par jour, je peux empocher entre 8000 UM et 15000 UM. Mais dès fois, je descends les mains vides». Puis Ahmed emboîte le pas: «Je travaille ailleurs, mais dès fois je viens ici pour faire du business. Seulement pour réussir dans ce marché, il faut, au moins, un capital de 100.000 UM à 200.000 UM.»
Autour de nos trois interlocuteurs se déferlent des vagues humaines, se rabattant l'une sur l'autre, dans un mouvement d’ensemble qui anime le marché «Point Chaud». Ici, dans la foule, des vendeurs de thé et de café se mêlent aux marchands ambulants. Là, des hommes, assis à même le sol exposent, sur des mallettes noires, des cartes d'abonnement et de recharge téléphoniques.
Non loin, d'autres vendeurs forment un cordon et encerclent la foule. Ils étalent sur des tables en bois, des accessoires de téléphones portables; des batteries, des chargeurs, des écouteurs, des habillages ...
Dans le déferlement de cette marée humaine, la communication passe pourtant très bien. Impressionnant ! Etonnant! Différentes langues se manient, Arabe, Français, Hassanya, Pourlaar, Soninké, Wolof…Comme nous rassure un jeune ambulant qui, dans un français amusant rigole: «Ici, nous parler tous les langues».
Au même instant, un autre ambulant expose un téléphone à un visiteur, avant de tirer ce dernier dans une boutique. Sur le panneau de la boutique est inscrit "…TELECOM".
A l'intérieur, le décor apparaît tel que le reste des boutiques du marché: Une vitrine et des rayons de cartons contenant de téléphones portables. Cette marchandise provient de Dubaï, de l'Allemagne, de l'Espagne, de la Chine. Elle est généralement importée par de grands commerçants qui sont en vérité les fournisseurs du marché «Point Chaud».
Puis, une demi-heure passe, le marchandage prend fin, le marchand ambulant et son client disparaissent et le vrai propriétaire de la boutique brise son silence : «Beaucoup accusent, à tort, ces ambulants de voleurs. Or, ce sont eux qui animent le marché».
A l'intérieur du marché
Plus loin, à l'intérieur du marché, les boutiques sont mitoyennes et se suivent. D'abord à gauche, se situent les anciennes boutiques, pas très bien loties, avec des passages, parfois, trop étroits. Puis, au milieu, les boutiques modernes, plus confortables sont abritées par un seul bâtiment. Encore à droite, d'autres rangées de boutiques sont abritées par un autre bâtiment inachevé. Le loyer des unes et des autres dépend de la taille et de la position : une boutique peut coûter entre 10.000UM et 60.000 UM.
Entre les boutiques, l'activité bat son plein et les vendeurs et les acheteurs font la navette. Dans cette activité dominée par le commerce de portables des vendeurs de CD, des cireurs de chaussures, des coiffeurs...etc. font leurs affaires
Plus nous pénétrions à l'intérieur, un espace s'ouvre au fin fond du marché. Il est réservé pour étancher la soif et enrayer la faim. En nous y approchant, nous sommes attirés par l'odeur de la viande grillée et du «thièbou Dienne (ndlr: riz au poisson)» fumant. Mais rapidement une cacophonie infernale provenant par derrière nous assourdi les tympans. Il s'agissait d'une sonorité excessive, façonné par des musiques africaines, américaines et orientales. Le tout mêlé à un récital du Coran, préféré, peut être, par les plus pieux.
Expliquant cette cacophonie, Cheikh, entouré, dans sa cantine, par des ordinateurs et des posters de footballeurs et de musiciens, détaille: «A partir de l'ordinateur, je transfère des sons à des téléphones portables. Je remplies une carte mémoire de 1 GB à 1500 UM. Puis, Cheikh d'ajouter, je transfère aussi des programmes, mais la plupart des gens ne veulent que de la musique».
A côté, une autre cantine, presque de la même taille, mais gérée par un «technicien», un réparateur de téléphones mobiles. Devant une table, à même ses genoux, sur laquelle on trouve un tournevis, un fer à vapeur, un testeur et du diluant. Baro avoue : «C'est vrai, je n'ai pas suivi une formation quelconque. Mais, je suis très sollicité. Avec le temps, j'ai acquis une bonne d'expériences».
Un faisceau de problèmes
Mais cette activité infernale et ce boom commercial du marché «Point chaud», ne va pas sans créer des problèmes. Chérif, un gérant de boutique explique: «Avant, nous gagnions jusqu’à 2000 UM par portable vendu. Maintenant ce bénéfice ne dépasse pas les 500 UM. Peut être, la très récente crise financière mondiale a-t-elle affaibli le pouvoir d’achat des citoyens. Nous recevons les portables sans garanti, mais, n’arrivons pas à convaincre les acheteurs qu’un portable neuf ne se garantit pas (il nous montre un bloc de factures pour convaincre)».
Un autre boutiquier, répondant au nom de Mamis intervient : «J'ai, une fois, livré un portable tout neuf. L’acheteur l’a amené en Italie. Quelques temps après, il me surprend, chez moi, pour me dire que le portable en question était défectueux. Il avait donné 5000 UM à un revendeur qui lui avait montré ma maison. Finalement, l'affaire, qui était arrivée au niveau de la police a été arrangée à l'amiable.»
Dans la foulée, Amadou soulève le problème de l’achat de téléphones volés : «Une fois j’avais acheté et revendu un portable, sans savoir qu’il a été volé. Puis son propriétaire, une femme, l’a reconnu avec l’acheteur et a porté plainte contre moi. L’affaire m’a valut un séjour en prison avant d’être libéré après l’intervention de mon oncle et de la femme elle-même»
Dans ce lot de problèmes les clients, selon les vendeurs, ne respecteraient pas les 24 heures de garantie arrêtés après l’achat d'un téléphone portable occasion. Mais cette accusation est balayée par les acheteurs qui dévalent leur foudre sur les vendeurs en les accusant de revendre, parfois, des téléphones défectueux dont ils ont changé l’habillage. C’est dire qu’au marché «Point Chaud!», non seulement il y a tout mais c’est surtout un vrai point chaud.
MOHAMED DIOP & LALLA NADIF
تاريخ الإضافة: 2010-02-12 11:50:41 |
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