Interview exclusive d'Ahmed Ould Hamza: «Il n’est pas de l’intérêt des hommes d’affaires, en général, d’entrer en confrontation avec les Pouvoirs publics»
L’incarcération des hommes d’affaires et hauts fonctionnaires dans le cadre de l’épineux dossier de la BCM continue de faire couler beaucoup d’encre. Aussi, les réactions à ce dossier ne cessent-elles d’affluer revendiquant une solution consensuelle et rationnelle. Une personnalité d’envergure vient de joindre sa voix aux tenants de cette thèse. Il s’agit de M. Ahmed Ould Hamza, homme d'affaires, Président de la Fédération des Industries et des Mines, membre du Bureau Exécutif de l'UNPM et Président de la Commission des Relations Internationales du Patronat Mauritanien, que nous avons joint par téléphone à l’étranger.
Nouakchott-Info: En tant qu’homme d’affaires, quel est votre point de vue sur l’incarcération des trois hommes d’affaires dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler «Dossier Hommes d’affaires-BCM»?
Ahmed Ould Hamza: Permettez-moi, tout d’abord, de profiter de vos colonnes pour dire que personne ne peut être contre le principe de la lutte contre la gabegie et la mauvaise gestion initiée et exécutée, jusqu’ici, par le Président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz. Une action inscrite, de façon prioritaire, dans le discours électoral de celui-ci. Il s’agit également d’une initiative qui, qu’on le veuille ou pas, a reçu l’adhésion de nombreux mauritaniens dont l’Opposition qui en avait depuis toujours, fait l’un de ses principaux chevaux de bataille politique sous les régimes successifs du pays. Je dirais, ensuite, que cette affaire doit être complètement dépolitisée. Autrement dit il est, de mon point de vue, souhaitable que, d’une part, cette campagne de lutte contre la gabegie et la mauvaise gestion ne soit pas perçue comme une simple campagne de règlement de comptes initiée par le Président Aziz à l’encontre de ses ennemis politiques. De même qu’il est souhaitable, d’autre part, que les hommes d’affaires, en général, comprennent qu’il n’est pas de leurs intérêts d’entrer en confrontation avec les Pouvoirs publics qui, qu’on le veuille ou non, restent plus puissants que tous les individus. Il faudrait aussi que chacun de nous, où qu'il se trouve, se rappelle que la quasi-totalité des Mauritaniens ont, peu ou prou, et à des degrés divers, profité, par le passé, de la manne de l’Etat et de ses largesses. Même les pauvres ont eu leur part de ce butin, même s’il ne s’agit que de miettes. Et je suis bien placé pour parler de ces privilèges, moi, qui n’en ai jamais profité, depuis l’indépendance du pays. Ce que je ne regrette d’ailleurs nullement. J’en appelle, tant à la majorité, qu’à l’opposition, pour dépolitiser cette affaire afin de lui garder son seul caractère commercial et financier. Car, toute politisation de ce dossier ne ferait que le compliquer et rendre sa solution encore plus difficile.
A toutes les parties, je lance, du fond du cœur, un pressant appel pour la retenue et la recherche d’une solution consensuelle et rationnelle.
Je demande plus particulièrement à l’Etat une plus grande souplesse dans ce dossier de la BCM pour lui trouver une issue allant dans le sens de l’apaisement dans notre pays dont la fragilité économique, sociale et politique est évidente pour tous. Un apaisement dont notre pays a grandement besoin pour faire aboutir l’ambitieux projet d’édification une nouvelle Mauritanie que le Président Aziz s’est fixé comme objectif principal de son programme électoral.
N.I : Comment réussir alors cet apaisement alors que l’on semble assister à une confrontation ?
A.O.H. : Nul besoin d’attirer l’attention des Pouvoirs publics sur le fait qu’il n’est de l’intérêt de personne que soient discrédités davantage des hommes d’affaires comme ceux détenus dans le cadre du dossier de la BCM. Tout comme il ne sert à rien de favoriser des actions qui seraient de nature à creuser davantage le fossé entre l’Etat et ses citoyens. Aussi, me semblerait-il, que la vraie lutte contre la gabegie doit commencer dès maintenant. Dans le cadre de cette recherche d’apaisement, je demanderais à notre Parlement de voter une loi «amnistiant» tous les crimes économiques et financiers antérieurs au mouvement de rectification d’août 2008. Cette loi d’amnistie comportera une clause stipulant que tout amnistié qui récidivera sera poursuivi pour tous ses crimes économiques et financiers antérieurs à cette amnistie. Car, «un homme averti en vaut deux». Au Patronat Mauritanien (dont je suis membre et qui est censé défendre les intérêts de ses adhérents), je demanderai de se réunir, le plus rapidement possible, pour favoriser une solution consensuelle et rationnelle qui sauve la face à toutes les parties concernées. Enfin, à tous les acteurs politiques et de la société civile, je lance un vibrant appel pour faire part de patriotisme et de solidarité commune pour se joindre à cette louable initiative de lutte contre la gabegie et la mauvaise gestion.
A cet effet, il est plus que nécessaire de fermer la parenthèse des dernières élections présidentielles et sénatoriales, pour qu’un débat franc et sincère, s’instaure au niveau de la classe politique (majorité et opposition) pour définir la stratégie adéquate permettant à la Mauritanie de relever les grands défis (économiques, sociaux et sécuritaires) auxquels elle est, présentement, confrontée. Une Mauritanie apaisée, réconciliée avec elle-même et tournée vers l’avenir.
NI: Et en ce concerne les hauts fonctionnaires incriminés dans ce dossier de la BCM, quelle est votre opinion?
A.O.H: Vous avez raison de soulever cette interrogation. Je regrette que, lors de la dernière conférence de presse de la Coordination des Forces de l’Opposition Démocratique mauritanienne, l’accent ait été mis, exclusivement, sur les hommes d’affaires détenus, alors que de hauts fonctionnaires de l’Etat y sont également incriminés. Ceci étant, je dirai que je vois mal - même dans un pays développé - un haut fonctionnaire (fût-il ministre ou autre) passer outre les ordres d’un Président de la République. Que dire alors quand il s’agit d’un pays sous-développé comme le nôtre et dans les conditions de l’époque? Si tel était le cas pour les hauts fonctionnaires de l’Etat concernés par ce dossier de la BCM, cela devrait, selon moi, constituer des circonstances atténuantes pour les intéressés. Et de ce fait, ils doivent bénéficier d’une relaxe pure et simple. Cela ne voudrait point dire que je tolère la gabegie et la mauvaise gestion? Loin de moi cette déduction. Cependant, je crois fermement que, pour réussir la lutte contre ces vices et les empêcher à l’avenir, il faudrait créer les conditions nécessaires à cela parmi lesquelles, en priorité, l’adhésion à ce noble objectif de tous les responsables administratifs, à tous les échelons de l’Administration. Ce qui est à portée de main. D’autant plus que le message de fermeté et de persévérance affiché par le Président Aziz dans ce domaine, est on ne peut plus clair. Rien ne sera plus comme avant.
Propos recueillis par Mohamed Ould Khattatt
Date publication : 26-12-2009 18:57:39 |
Lecture N°: 6435 |