Par Mohamed bouya ould Nahy ; Ex-juge d’instruction charge du terrorisme au prés du Tribunal de la Wilaya de Nouakchott et ancien Procureur de la République auprès du même tribunal
Pays chainière entre le Maghreb arabe et l’Afrique noire, la Mauritanie a connu la colonisation française un peu tardivement, au début du 20 ème siècle. Avec l’arrivée des français, l’Islam était déjà bien implanté et la justice était rendue par des Cadis qui appliquaient des règles inspirées du droit musulman. Parallèlement à ce système, il y avait une justice française composée de juridictions civiles et pénales qui appliquaient le code pénal et les lois civiles françaises promulguées en AOF.
Avec l’indépendance en 1960, le nouvel Etat a opté pour la reconduction du modèle de justice pénale transposé par la France quitte à le corriger par la suite, en lui apportant les adaptations nécessaires.
En 1983 ; l’Etat a opté pour une réforme du Code pénal ordonnance n° 83-162 du 9 juillet 1983 portant institution du Code pénal. Cette loi a introduit les peines inspirées du droit musulman, une cour criminelle islamique a été instituée a Nouakchott pour rendre la justice islamique.
Ce système a connaitra des réaménagements avec la suppression du tribunal islamique et l‘unification du statut de la magistrature qui met fin à la dualité dans le corps de la magistrature [ cadis-juges modernes ] .
Sans remettre en cause l’islamisation du code pénal, le législateur mauritanien introduira plus tard des dispositions législatives nouvelles et des changements structurels dans le système judiciaire pénal en vue de l’adapter aux exigences d’une réponse appropriée au terrorisme et au crime organisé.
Pour illustrer ces propos, nous aborderons en premier lieu le système pénal actuel [I] et en second lieu le traitement de ce deux types de criminalité par les juridictions nationales [II].
I/ Le système judicaire pénal actuel
IL y a lieu d’examiner d’abord l’organisation du système de justice pénal et, ensuite le système d’enquête de poursuite et le procès pénal, en mettant l’accent sur les spécificités liées aux crimes terroristes et aux crimes organisés.
A/ organisation des tribunaux répressifs
Le système judiciaire mauritanien a connu des mutations importantes. La dernière organisation date de 2007 [Ordonnance no 012/ 2007 du 8 février 2007, portant organisation judiciaire]. Cette loi a introduit des innovations importantes dans le système : l’assistance obligatoire d’avocat en matière criminelle, introduction d’appel des jugements de la cour criminelle, création de chambres des mineurs, institution de chambres d’accusation au niveau de la cour d’appel.
Des aménagements importants ont été apportés au code de procédure pénale pour l’harmoniser avec l’organisation judiciaire.
*La loi 012/2007 fixe l’organisation judiciaire actuelle qui comprend les tribunaux de wilayas, les juridictions d’appel et la Cour Suprême.
Les tribunaux de wilayas [ juridictions premier degré], au nombre de quinze, se composent de plusieurs chambres, dont la chambre pénale qui statue à juge unique sur les affaires correctionnelles. Les Cours criminelles, instituées au chef lieu de chaque wilaya, jugent en premier ressort les affaires criminelles. Le ministère public au prés des tribunaux de wilaya est représenté par le procureur de la république ou l’un des ses substituts.
Les Cours d'appel, au nombre de quatre (Nouakchott, Nouadhibou ; Aleg et Kiffa), connaissent en appel et en dernier ressort les jugements et ordonnances rendus par les juridictions pénales de premier degré[ chambres pénales des tribunaux de wilayas, cours criminelles]. Le parquet au prés des juridictions d’appel est représenté par le procureur général ou l’un de ses substituts.
La Cour Suprême statue en sa chambre pénale sur les pourvois en cassation formés contre les décisions rendues en dernier ressort par les cours d’appels en matière pénale. Elle joue également un rôle important en matière d’extradition judiciaire. Le ministère public est représenté devant cette juridiction par le procureur général qui veille à l’application de la loi pénale sur l’ensemble du territoire national.
*Il existe au sein du système judiciaire des instances judiciaires spécialisées, le pole judiciaire chargé de terrorisme institué en 2010 au prés du tribunal de la wilaya de Nouakchott, un juge d’instruction chargé de la drogue et un juge chargé des crimes économiques et financiers institués auprès du tribunal de wilaya Nouakchott.
B/ Enquêtes, poursuites et procès pénal
1/ L’enquête et la poursuite
L’enquête pénale ou enquête préliminaire : est menée concrètement par les officiers de la police sous le contrôle du procureur de la république. Ils sont autorisés à recourir à un ensemble d’opérations réglementées par la loi : perquisitions domiciliaires, saisie de scellés, audition de témoins, arrestations et mesures de garde à vue des personnes soupçonnées d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction [ cas de crime et délit flagrants, art. 47 du CPP ].
En cas de crime, La police technique intervient afin de sécuriser la scène du crime sur et procède à des prélèvements et rassemble tous les objets, les traces, les empreintes recueillis sur le lieu du crime. Elle peut à l’aide de ses spécialistes établir le portrait des suspects sur la base de témoignages.
*En matière de terrorisme, la police judiciaire peut recourir aux interceptions des communications sur autorisation du parquet. les renseignements tirés de ces procédés sont mis à contribution dans le processus de l’enquête. Elle peut mettre les suspects en garde a vue pendant une durée de 15 jours renouvelables deux fois. En matière de stupéfiants, la garde a vue est de 72 heures renouvelables deux fois.
*Le service technique de la police dispose du matériel et de compétences nécessaire dans le domaine d’analyse des empreintes digitales de drogues et des documents Cependant, il faut souligner que la police ne dispose pas d’experts formés en matière balistique.
Par ailleurs, le système ne dispose pas d’un service de médecine légale, ce constitue un handicap majeur pour les enquêtes criminelles.
La poursuite : Comme dans le système français, la poursuite des crimes se matérialise par la mise en mouvement de l’action publique par le procureur de la république [organe de poursuite] à l’encontre de l’auteur présumé de l’infraction. Il procède soit par la voie de la procédure de flagrant délit, soit par la voie d’une demande d’ouverture d’une information judiciaire au prés du juge d’instruction.
*Ce dernier conduit librement ses investigations. Il procède à tous les actes nécessaires à la manifestation de la vérité [interrogatoires, confrontations, audition des témoins, expertises].La saisine du juge d’instruction limite le pouvoir du juge aux faits visés [ saisine in rem ]. Il doit dans la recherche de vérité, instruire à charge et décharge.
*Dans la conduite de l’instruction, il arrive souvent que le juge d’instruction accorde la liberté provisoire à un prévenu sous certaines conditions en fonction de la nature et du degré de gravité des faits. Il peut aussi désigner dans le cadre d’une commission rogatoire designer un OPJ de son ressort ou un juge d’instruction pour accomplir des actes d’informations qu’il juge nécessaires.
*Le procureur de la république peut inviter les parties à transiger quand il s’agit d’une infraction punie d’un emprisonnement de deux ans. En cas d’accord, le p.v. de conciliation est transmis au Président du tribunal qui le certifie. La procédure de conciliation et l’ordonnance du Président arrêtent l’action publique [art. 42 du CPP ]
*Il y’a lieu de souligner aussi qu’en matière de terrorisme, le parquet peut suspendre la poursuite à l’encontre de tout individu qui, avant son arrestation par les autorités, renonce à un projet terroriste [ art. 19 de la loi sur le terrorisme].
Ces procédures d’allègement permettent à la justice pénale de différer l’examen d’un nombre important d’affaires pénales de moindre gravité.
2/ Le procès pénal : Selon le CPP, l’audience pénale est orale, publique et contradictoire. Le procès pénal obéit aux critères standards exigés en la matière : respect des droits de la défense, respect de la présomption d’innocence etc.
Cependant, le procès pénal étant l’affaire des hommes s’accompagne parfois des lenteurs de procédure remettant en cause un droit fondamental de l’homme, celui d’être juge dans un délai raisonnable.
Cette situation qui n’est pas propre à la Mauritanie, peut se produire dans les affaires complexes et sensibles, telles les affaires liées au terrorisme, à la drogue ou au blanchiment d’argent.
*L’assistance de l’avocat est obligatoire en matière de crimes et des délits des mineurs. Si l’accuse n’a pas d’avocat, le tribunal lui désigne un avocat d’office sur les frais de justice criminelle.
II/ Le traitement judiciaire du terrorisme et du crime organisé
Nous envisagerons premièrement le traitement du terrorisme devant les instances judiciaires spécialisées et, en second lieu la répression du crime organisé.
A/ Le terrorisme
La loi no la loi 2005/047, abrogée et remplacée par la loi 2010/035 du 21 juillet 2010 de 2010 relative au terrorisme constitue le socle fondateur du dispositif mauritanien de lutte contre le terrorisme. Elle s’inspire du modèle français qui centralise et spécialise les poursuites.
La loi de 2010 définit le terrorisme suivant la méthode énumérative, en citant les actes terroristes repris dans les actes internationaux relatifs au terrorisme : l’atteinte volontaire à la vie des personnes, l’atteinte à la sureté de l’Etat, la cybercriminalité, l’utilisation d’armes, d’explosifs ou de substances explosives, le fait de constituer ou d’adhérer à un groupement terroriste, etc.
*Création d’une police judiciaire spécialisée : au niveau de la police nationale, un service chargé du terrorisme a été mis en place au sein de la Direction Générale de la Sureté Nationale et les moyens alloués à ce service ont été renforcés pour traquer et arrêter les suspects.
* La nouvelle loi intègre des nouvelles techniques d’investigation : l’infiltration des organisations terroristes, l’interception des communications. Le recours à ces procédés est subordonné à une autorisation écrite du procureur ou du juge d’instruction (art. 26 de la loi ).
*Des organes judiciaires spécifiques : S’inspirant du modèle français, la nouvelle loi centralise les poursuites et spécialise les magistrats.
Elle crée un parquet anti-terroriste constitué parmi les magistrats du parquet de Nouakchott. Un pole d’instruction anti-terroriste est, également, institué auprès du tribunal de Nouakchott avec une compétence nationale.
Ce pole statue collégialement et spécifiquement sur la détention ou la liberté provisoire, ainsi que la saisie conservatoire des biens meubles ou immeubles des personnes poursuivies pour des faits terroristes.
Par ailleurs, la loi confère à la cour criminelle de Nouakchott la compétence exclusive de connaitre des infractions terroristes, érigées en crimes passibles de réclusion criminelle allant de 20 à 30 ans.
*Le dispositif juridique mauritanien est complété par les mécanismes de coopération judiciaire notamment l’entraide pénale et l’extradition.
* Sur le plan pratique, la justice de l’antiterrorisme a eu à traiter, pendant la période de 2008 à 2013, une soixante de dossiers liés au terrorisme. Les affaires jugées par les juridictions nationales concernent des enlèvements, des assassinats d’étrangers, des tentatives d’attentats contre des intérêts étrangers, ou encore des réseaux de recrutement de combattants pour le compte des groupements terroristes.
*Sur plan de la coopération judiciaire, le pole d’instruction a exécuté une dizaine de demandes d’entraide judiciaire, essentiellement des commissions rogatoires internationales, émanant de l’Algérie, du Maroc, de la France, de l’Allemagne, des Etats-Unis. La dernière en date est la demande adressée par le procureur des Etats unis tendant à l’audition de Younis El mouritani à propos de ses liens avec des présumés djihadistes, arrêtés aux Etats unis.
Parallèlement, la Mauritanie a obtenu du Mali, la remise du salafiste Mohamed Leminne Mballe, recherché dans la tentative d’attentat contre les locaux du Ministère de l’intérieur, et de l’Ambassade de France à Nouakchott. Le djihadiste Taki ould Youssouf visé par un mandat d’arrêt international a été arrêté au Niger fin 2009 et remis aux autorités mauritaniennes.
B/ Criminalité organisée
Du fait de sa situation géographique de pays sahélien, la Mauritanie se trouve confrontée à un ensemble d’activités criminelles transfrontalières menées par des réseaux de criminels qui se livrent au trafic de la drogue, à la vente d’armes à travers le nord du pays. Ces réseaux bénéficient du soutien et de la complicité des groupes djihdistes installés dans la région du sahel.
*Face à ce phénomène, la Mauritanie s’est doté d’un arsenal législatif diversifié qui réprime toutes les formes de criminalité organisée; la loi no 2005/48 relative au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme, loi n0 93/037 du 20 juillet 1993 relative à la répression de la drogue, loi n0 025/2003 du 17 juillet 2003 portant répression de la traite des personnes.
.* La lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme : la loi 2005/45 fixe le cadre de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme Elle prévoit une commission d’analyse des informations financières ( CANIF ) dont la mission consiste à recueillir auprès des banques, les renseignements financiers sur les circuits de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.
En cas d’existence d’indices de blanchiment, la commission nationale saisit le parquet de Nouakchott qui doit ouvrir une enquête préliminaire sur les faits.
* Lutte contre la drogue : dans ce cadre, les autorités de police ont procédé à l’arrestation de plusieurs réseaux de trafic de drogue. Des saisies importantes de cannabis et de chanvre indien ont été effectuées par les autorités ces dernières années.
*En 2007, les services de police ont réussi à arrêter un réseau très actif de trafiquants, dont le cerveau est un français dénommé Eric Walter. Le réseau acheminait par voie aérienne des quantités importantes de cocaïne en provenance du Venezuela. Le français a été arrêté au Sénégal et extradé en Mauritanie sur de la demande des autorités judiciaires.
Les personnes impliquées dans cette affaire ont été condamnées à des peines de réclusion criminelle allant de sept à quinze ans.
*Ce dossier connu sous le numéro 769/2007 est révélateur des difficultés de la justice à juger des trafiquants de drogue uniquement sur la base des aveux consignes dans les procès- verbaux de police et réfutés devant la juridiction de fond.
Récemment, en Janvier 2016, un groupe de trafiquants a été arrêté prés de Nouadhibou en possession d’une quantité de résine de cannabis estimée à 1000 kg. Les personnes impliquées dans ce trafic ont été traduites devant la justice.
En guise de conclusion , nous pouvons dire que le système pénal mauritanien a connu des mutations importantes sur le plan normatif et institutionnel et en terme de formation du personnel. En dépit du manque de ses moyens et l’insuffisance dans la formation de ses acteurs, la justice pénale mauritanienne est en mesure de traiter valablement et avec la même technicité qu’ailleurs les affaires de terrorisme et criminalité organisée. Cependant, des progrès restent à faire.